Vous le connaissez, vous le voyez un peu partout, y compris près des écoles, dans les abribus et les stations de métro, cet aguicheur pirate vêtu de rouge. Il imprègne les plus jeunes d’une image favorable à la consommation d’alcool en recourant à un univers que les enfants affectionnent particulièrement, au travers de leurs jeux, de leurs jouets. Le thème du pirate est fréquemment utilisé dans les contenus culturels (et le marketing attenant) conçus à leur attention : dessins animés, films, contes, livres etc.

Mais quel rapport a-t-il avec la boisson alcoolique à base de rhum, ce Captain Morgan ? Justement nous peinons à le voir !

Sa présence dans le marketing de la marque du géant Diageo est donc contestable au regard de la loi Evin qui n’autorise qu’un nombre limité de thèmes pour la communication, uniquement en rapport avec le produit et sa production. C’est pour cette raison qu’Addictions France a assigné Diageo pour faire condamner le recours abusif à l’image du pirate. Le personnage a existé, certes, mais il a vécu deux siècles avant la création de la marque. Le prétendu lien avec un contenu autorisé, en l’espèce l’origine du produit, est donc complètement artificiel. Rappelons que la cour de cassation s’est récemment élevée à l’encontre de ce type de procédé « hyper1bolique ». Et ce n’est pas tout : la page Facebook française de la marque est truffée de trésors publicitaires du flibustier : jeux de mots avec la Saint Valentin (« le roi de la chope »), avec Noël et bien d’autres publicités conçues pour amuser l’internaute.

L’audience se tenait le 25 mai 2022 devant le tribunal correctionnel et elle a produit quelques surprises.

Il a d’abord examiné une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par Diageo. L’objet de cette QPC était que le Conseil constitutionnel se positionne sur les dispositions relatives à l’identification des personnes responsables d’une infraction (article 121-2 du Code pénal). Les alcooliers critiquent régulièrement nos procédures en arguant que nous n’avons pas identifié correctement la personne directement responsable des faits litigieux.

Diageo est allé un peu plus loin en déposant une QPC avec, on le présume, l’objectif de retarder la procédure. En effet, le dépôt d’une QPC donne souvent lieu à un report de l’audience pour donner le temps à la partie adverse de préparer ses arguments. C’est ce qu’Addictions France a fait, d’autant que le mémoire en réponse déposé par DIAGEO était particulièrement fourni et déposé quelques jours seulement avant l’audience qui avait pourtant été fixé bien longtemps en amont.

Or la demande de report d’Addictions France a été rejetée. Mais, dans la foulée, le tribunal a aussi rejeté la QPC « sur le siège », c’est-à-dire juste après les plaidoiries, invitant dès lors les parties à plaider sur le fond. Sans que cela ne présage de la décision du juge, il est à noter que la représentante du ministère public (le parquet/procureur de la République) a requis en notre sens.

On note donc au travers de cette procédure plusieurs points :

  • les industriels de l’alcool, non seulement commettent des infractions sur le territoire français, mais en plus cherchent à se soustraire à leur responsabilité en soulevant des arguments de forme ;
  • ils ont recours à des incidents de procédure à des fins manifestement dilatoires et retardent ainsi le verdict.

Le juge a heureusement bien cerné la manœuvre. Reste à savoir s’il nous suivra sur le fond. Verdict en septembre 2022.