L’Association Française des Jeux en Ligne (AFJEL), qui regroupe les acteurs du secteur des jeux d’argent et de hasard, a publié le 15 juillet un bilan « en demi-teinte » des paris sportifs pendant l’Euro 2024. Déplorant une progression du marché moindre que prévue – mais une progression quand même ! –,l’AFJEL offre une analyse biaisée et regrette que la compétition n’ait pas été plus favorable aux opérateurs. Une réaction d’un cynisme absolu alors que le nombre de joueurs pathologiques ne cesse de croitre depuis la libéralisation du secteur des jeux.  

 

Des chiffres manipulés ? 

L’AFJEL déplore que le montant des mises réalisées pendant l’Euro 2024 se soit avéré inférieur au montant record qui était annoncé. L’Autorité nationale des jeux (ANJ) avait, en effet, estimé que ce chiffre pourrait dépasser le milliard d’euros. L’AFJEL estime pour sa part le montant total des mises en France à 500 millions d’euros. Mais ce chiffre est-il si faible que cela ?  

Lors de l’Euro 2021, les Français avaient parié 435 millions d’euros sur l’ensemble de la compétition. S’il n’y a certes pas de croissance spectaculaire, il n’est pas exact de dire que le secteur des paris sportifs perd en puissance.  

L’AFJEL compare aussi, ce bilan à celui de la précédente Coupe du Monde et met en avant une diminution de 25% des mises. Cette comparaison est trompeuse. Bien que les deux événements sportifs soient d’envergure, la Coupe du Monde possède un caractère tout particulier. Il n’est donc pas surprenant que les parieurs n’aient pas dépensé autant pour les deux compétitions. 

Sur les tendances plus longues, l’analyse de l’AFJEL peut aussi largement être mise en doute. L’AFJEL parle d’une « année 2022 sans croissance » et « d’une baisse continue du nombre de joueurs », omettant de préciser que le Produit Brut des Jeux (PBJ) des opérateurs ainsi que le montant misé par les parieurs est en constante augmentation depuis une décennie. Aucun indicateur ne révèle que le secteur des paris sportifs serait menacé.  

 

Derrière le discours, un objectif bien précis  

L’AFJEL présente les chiffres de l’Euro 2024 comme une anomalie sans évoquer, dans les facteurs pouvant expliquer ce ralentissement ponctuel de la croissance du secteur, la situation politique en France qui a relégué l’Euro au second plan des préoccupations et les performances de l’équipe de France qui n’ont pas déchainé les foules. Elle choisit d’expliquer la situation par un seul et unique facteur : l’expansion du marché illégal en ligne.  

L’AFJEL affirme que 50% de la demande aurait été captée par l’offre illégale. Qu’en est-il réellement ? 

Cette estimation, non sourcée, est très éloignée des chiffres de l’ANJ qui situe la part de l’offre illégale entre 5 et 11%.  De la même façon, l’AFJEL estime que le nombre de joueurs sur le marché illégal (4 millions) aurait dépassé le nombre de joueurs sur le marché légal. Cette affirmation est contredite par les données de l’ANJ selon lesquelles un tiers des joueurs de jeux d’argent et de hasard en ligne aurait consommé de l’offre illégale l’an passé. Parmi ces joueurs, plus de la moitié déclare jouer à des jeux de casinos en ligne et non à des paris sportifs. 

Pourquoi autant insister sur la prolifération du marché illégal ? L’AFJEL est le principal lobby du secteur des jeux d’argent et de hasard en France. Son objectif premier est l’autorisation des casinos en ligne. Selon l’AFJEL, la régulation permettrait de lutter contre le développement du marché illégal, d’œuvrer pour la « protection » des joueurs, et d’accroître les recettes fiscales de l’Etat. Elle permettrait surtout aux opérateurs d’exploiter une source de revenus qui leur échappe aujourd’hui.  

Cette stratégie n’est pas nouvelle. Les lobbies de l’industrie du tabac, par exemple, emploient les mêmes arguments et le même type d’étude biaisée sur une prétendue (mais fausse) montée en puissance du commerce illégal pour souligner les difficultés économiques auxquelles les buralistes sont exposés et ainsi s’opposer à toute mesure de prévention du tabagisme.  

 

Stratégie perdante ? Les investissements records en marketing n’ont pas payé  

La réaction de l’AFJEL peut aussi trouver sa source dans la déception causée par le « moindre » chiffres d’affaires au regard de l’investissement massif dans la publicité. Sur les 670 millions d’euros alloués au marketing en 2024, 30% des investissements, soit un peu plus de 200 millions d’euros, étaient concentrés sur la période de mai à juillet pour l’Euro et les JO avec un objectif clair de rétention des joueurs.  

Cette augmentation du budget marketing se retrouve notamment sur les réseaux sociaux où de nouveaux influenceurs lifestyle ont réalisé des collaborations commerciales avec des opérateurs de jeux (Laura Pétard, Valouzz, Ludovik). On y voit des mises en scènes toujours plus recherchées, des moyens d’incitations à faire des paris particulièrement engageants et l’usage de l’humour pour banaliser le jeu.  

 

Reel posté par Ludovik (902 000 abonnés) sur son compte Instagram le 9/07/2024 en collaboration commerciale avec Winamax. 

 

Dans cette publication, l’influenceur met en scène une personne qui souhaite regarder le match en silence mais qui ne cesse d’être interrompu par une femme et des personnes âgées. L’association avec les paris sportifs n’est pas évidente mais cela contribue à une banalisation de la présence des opérateurs de jeux et à une représentation positive de l’association du sport avec les jeux.  

  

Les opérateurs de jeux ont aussi investi l’espace public en amont de la compétition avec une succession de campagnes d’affichage de grande ampleur. Partout en France, dans toutes les stations de métro, bus, grandes gares, les opérateurs de jeux étaient visibles. 

         

 

Si les budgets marketing semblent disproportionnés par rapport aux résultats, c’est que les opérateurs ont sans doute trop dépensé. Mais ils n’ont très certainement rien perdu du tout. 

Ne tombons pas dans le panneau d’une stratégie visant à protéger et même à faire fructifier les profits économiques d’un secteur au détriment de la santé de la population, et notamment des jeunes les plus exposés aux risques d’addiction en matière de jeux en ligne.