Plan tabac 2023 : un volontarisme à pas comptés
Le ministre de la Santé et de la Prévention, Aurélien Rousseau, a présenté le 28 novembre son plan de lutte contre le tabac 2023-2027. Pour sa première grande annonce sur un déterminant majeur (le ministre a rappelé que le tabac tue 200 personnes par jour), le ministre n’a pas fait d’annonces chocs, et le décalage entre le volontarisme des mots et la prudence des mesures est apparu nettement à plusieurs reprises.
Par exemple sur le prix du tabac, le ministre considère à la fois que c’est un outil très efficace, mais n’annonce qu’une augmentation de 1€ en 2025, puis en 2026 (sous réserve du vote au Parlement) afin d’atteindre 13€. Or, l’efficacité de l’augmentation des prix est d’autant plus notable qu’elle est importante et prévisible afin que la trajectoire de hausse annoncée motive à l’arrêt du tabac. Ce ne sera pas le cas.
La mesure la plus intéressante contenue dans ce plan concerne la restriction de la possibilité de fumer dans l’espace public. Les parcs, les forêts, les plages et les abords des écoles devraient devenir des espaces sans tabac. Mesure positive pour lutter contre le tabac et dénormaliser sa consommation auprès des non-fumeurs, notamment les enfants, mais aussi pour l’environnement avec, on l’espère, une limitation de la pollution désastreuse par les mégots (20 000 à 25 000 tonnes de mégots jetés par an en France). Malgré ces objectifs ambitieux, Aurélien Rousseau ajoute curieusement que les préfets auront une marge d’adaptation, ce qui laisse malheureusement la porte ouverte aux pressions locales. Par ailleurs, on peut s’interroger sur les moyens mis en œuvre pour veiller au contrôle de cette mesure et sa contraventionnalisation.
Le ministre a également réaffirmé l’interdiction des puffs avec une loi transpartisane en cours d’examen et annoncé une convergence des prix et de l’encadrement pour les produits du tabac (tabac à rouler ou à sucer, tabac chauffé…) et du vapotage. Il est en effet nécessaire de réagir face à la créativité commerciale de l’industrie du tabac et de la nicotine qui, sous couvert de promotion de produits présentés comme à moindre risque, a pour objectif de maintenir son activité économique à travers l’addiction de ses clients. Les paquets et emballages neutres deviendront la règle pour tous les produits du tabac et les vapoteuses. Les arômes, fortement attractifs pour les jeunes, feront l’objet d’une réflexion en vue d’une interdiction d’usage. Addictions France a toujours défendu la possibilité d’utiliser le vapotage, non comme entrée dans une pratique, mais comme outil d’aide à l’arrêt. Cette possibilité doit être préservée dans ce seul objectif.
Les autres mesures annoncées (accompagnement des fumeurs, programmes de prévention auprès des élèves, formation des travailleurs sociaux afin d’intervenir auprès des publics vulnérables les plus impactés par la hausse des prix…) sont dans la continuité du plan précédent. Les substituts nicotiniques seront par ailleurs d’accès plus faciles dans les pharmacies (aucune ordonnance requise pour obtenir un remboursement). Mais on note que, pour l’ensemble du plan, aucun indicateur chiffré n’est publié, et que la plupart des annonces sont renvoyées à de futures traductions réglementaires.
Le passage le plus discutable de l’intervention du ministre est l’hommage rendu aux buralistes qui s’engageraient dans la lutte contre le tabac, notamment dans la vente aux mineurs. Dans les faits, ce lobby se signale surtout, et depuis des années, sinon des décennies, par son incivisme puisque dans les deux tiers des cas, ils vendent des cigarettes aux mineurs au mépris de la loi. Le ministre annonce des contrôles qui n’ont jamais été faits jusqu’à présent, et d’éventuelles sanctions qui n’auront probablement jamais lieu, tellement de lobby sait jouer de son influence. En revanche, les buralistes vont recevoir, sur simple engagement de leur part, des aides à la diversification de leurs commerces, ce qui en fera un des secteurs commerciaux proportionnellement le plus soutenu par les pouvoirs publics. La convergence du clientélisme permettra par exemple aux chasseurs de se fournir en munitions chez les buralistes, comme cela a été évoqué ce week end !
Au total, on constate que le volontarisme, dont on a envie de créditer le ministre, est bridé par la realpolitik gouvernementale. Cela laisse peu d’espoir quant à une action dynamique sur d’autres déterminants de santé majeurs comme l’alcool ou l’alimentation. Que pèsent les 110 morts par jour à cause de l’alcool (soit une assemblée nationale tous les 5 jours) face à un lobby encore plus puissant ?
Bernard Basset, président d’Addictions France