Agences sanitaires : affaiblissement, démantèlement, dérégulation ?
Le 9 / 04 /2025
La presse nationale (Le Monde[1], Mediapart…) s’est fait l’écho d’une mission confiée à l’IGAS pour évaluer l’accomplissement par Santé publique France (SpF) de ses missions et proposer des scénarios d’évolution d’organisation de cette agence sanitaire crée en 2016.
Indépendamment du fond du dossier, le moment apparait particulièrement inopportun, dans un contexte international de dérégulation et, en France même, de remise en cause de l’indépendance scientifique des agences sanitaires, comme nous l’analysions récemment[2]. Si la comparaison avec la bourrasque anti-scientifique qui est en cours aux USA serait exagérée, la lettre de mission des inspecteurs généraux va au minimum dans le sens d’un affaiblissement structurel de Santé publique France. Car si la méthode proposée à la mission d’inspection parait classique (état des lieux, détermination des forces et des faiblesses, complémentarité avec d’autres organismes ou agences…), les ministres demandent à l’IGAS « d‘établir plusieurs scénarios d’évolution organisationnelle » sans évoquer le statu quo, posant ainsi implicitement en préalable que la situation actuelle ne leur parait pas satisfaisante, mais sans l’argumenter.
L’inquiétude, largement partagée par les acteurs de santé publique, provient tout d’abord du contexte national qui, en termes technocratiques, s’énonce « maitrise des dépenses publiques », soit plus trivialement « recherche d’économies ». Cet objectif général se traduit très concrètement par une pression sur les emplois afin de les réduire, car c’est un poste de dépenses important. Mais, bien entendu, supprimer des postes se fait rarement sans revoir à la baisse le périmètre des missions. Les inspecteurs généraux vont donc examiner la pertinence des missions et le maintien ou non des emplois qui y sont affectés. On voit que ce seul objectif est à la fois une source d’inquiétude pour les salariés de SpF, mais aussi pour les acteurs de santé concernés par des missions qui pourraient être mises en cause.
La seconde interrogation porte sur des missions sensibles politiquement. Sur le champ de la prévention en addictologie, on a pu constater que plusieurs campagnes du risque alcool conçues par SpF ont été annulées. L’interdiction faite à SpF de mener en 2020 la campagne devenue depuis « Défi de Janvier », sous label purement associatif, démontrait qu’un objectif indiscutable en termes de santé publique pouvait être censuré sous la pression d’un secteur économique. Les investigations de Radio France ont révélé l’activisme des alcooliers au plus haut niveau de l’Etat et l’écoute favorable qu’ils ont reçue pour annuler des campagnes de prévention.
Enfin, les scénarios demandés à la mission de l’IGAS sont tous a priori des scénarios de rétrécissement du périmètre et de l’organisation. Pourtant, la rigueur méthodologique voudrait que SpF puisse éventuellement s’adjoindre des missions complémentaires ou redondantes effectuées ailleurs, tout au moins comme hypothèse. Toujours sur le champ de l’addictologie, on pourrait, en dehors de toute dimension politique, interroger la complémentarité de SpF et de l’OFDT, qui généralement publient ensemble des études sur les consommations de produits et les comportements addictifs.
Les autres agences sanitaires peuvent également être soumises à des pressions similaires comme on l’a vu ces derniers mois avec la « sensibilité » du ministère de l’Agriculture au sujet des études de l’ANSES sur les pesticides, sans parler du feuilleton du NutriScore.
Nous ne savons pas si les Inspecteurs généraux prendront le temps d’auditionner les partenaires associatifs de SpF, ce qui paraitrait pertinent, mais le contexte pour les acteurs de santé en général est exacerbé par les options anti-scientifiques et dérégulatrices en cours aux USA sur le champ de la santé. Malgré un contexte plus rationnel dans notre pays, chacun craint une contagion à la marge de ces idées néfastes. C’est pourquoi, plutôt que de rétrécir le champ d’action de SpF, la priorité devrait être de récupérer les compétences indiscutées des professionnels et chercheurs licenciés sans ménagement outre-Atlantique, en particulier ceux des Centers for Disease Control (CDC).
Toutes ces questions que pose la mission d’inspection sur SpF mériteraient d’être clarifiées au-delà du contenu purement managérial de la lettre de mission. Les missions de santé publique portées par SpF doivent être analysées sereinement et objectivement, dans la clarté et la transparence, pour ne pas prêter au soupçon d’opération politique.
Bernard Basset, Président
[1] https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/03/31/une-mission-d-inspection-suscite-l-inquietude-a-sante-publique-france_6588624_3244.html
[2] https://expression.addictions-france.org/articles/les-germes-de-lanti-science-en-france-et-en-europe-aussi/