Le cannabis a fait un retour en force dans le débat politique, et même si la position du président et du gouvernement ne montre aucun signe d’évolution, on peut néanmoins se féliciter que le camp de l’analyse rationnelle du problème se renforce. Cela a été le cas avec la publication du rapport de la mission parlementaire sur le cannabis récréatif[1], dont il faut saluer le sérieux devant la complexité du sujet. La rapporteure, la députée Caroline Janvier (LREM), n’élude aucune des dimensions du problème posé par la consommation de cannabis dans notre pays, qu’il s’agisse des risques sanitaires, de la politique de répression, ou de l’économie souterraine qui maintient une partie de la population des quartiers dans la précarité et l’insécurité.

Si les constats bien étayés de l’inefficacité de la politique actuelle ne surprennent pas les acteurs de l’addictologie, les principales avancées concernent le traitement dépassionné par la mission parlementaire de plusieurs sujets épineux et propres à enflammer les esprits :

  • La comparaison des risques entre les drogues. Le rapport entérine le fait scientifiquement établi depuis longtemps que l’alcool (tout comme le tabac) est une drogue, et qu’il convient donc d’en comparer les risques avec les autres produits potentiellement addictifs. La rapporteure se réfère aux travaux de Bernard Roques en 1998, et de David Nutt en 2007[2] et 2010[3]. Ces comparaisons des risques et des dommages sur une base scientifique, et indépendamment du statut légal, aboutissent à la même conclusion : le cannabis présente des risques, notamment pour les jeunes, mais bien moindres que l’alcool. Dans une assemblée habituée aux trémolos pour défendre les boissons alcooliques, en particulier le vin, au nom de la culture et du patrimoine, cette remise en perspective est bienvenue.
  • La fausse distinction entre les drogues douces et les drogues dures. Si la comparaison des risques entre les drogues abolit la frontière entre celles qui sont licites et celles qui ne le sont pas, elle fait également justice de la discussion sans fondement entre les drogues « douces » et « dures ». Si on considère les dommages et le pouvoir addictogène, le tabac, l’alcool et l’héroïne sont sur le podium, mais pas le cannabis.
  • La fausse théorie de l’escalade. Cette fausse théorie prétend que tous les fumeurs de cannabis se tourneront un jour vers des drogues plus addictives telles que l’héroïne ou le crack, ce que toute la science dément. Enfin la représentation politique en finit avec ces discours sans fondement.
  • La reconversion des « petites mains » de l’économie souterraine. Si les trafiquants peuvent retirer des ressources importantes de leur activité illégale, ce n’est pas le cas de ceux qui sont à la base de la pyramide (guetteurs, nourrices etc…) qui n’ont souvent que des revenus inférieurs au SMIC, et, bien évidemment, sans couverture sociale. Travailler pour les dealers n’est alors pas un choix, mais la seule opportunité offerte dans des quartiers en difficulté et que les activités de deal contribuent à maintenir dans cette situation. La prohibition alimente l’insécurité dans un cercle vicieux. Le rapport trace des pistes pour redonner des débouchés, sortir du piège de l’économie illégale, et donc permettre à ces « petites mains » de trouver travail, insertion sociale et dignité.

Le rapport de la mission parlementaire, complet et documenté, appelle à un débat sur la légalisation du cannabis, rejoignant ainsi la demande d’Addictions France[4].

Cependant, ce débat, qui serait salutaire, n’aura pas lieu. Le président Emmanuel Macron a pris position le 19 avril, avant même la remise du rapport parlementaire, dont il pressentait les conclusions. Il a enfourché le discours « sécuritaire » qui n’a de sécuritaire que les mots. En période électorale, les solutions simplistes, dont l’inefficacité est patente depuis un demi-siècle, peuvent avoir une résonnance dans une partie de la population. C’est ainsi que le slogan éculé, inventé au siècle dernier par un publicitaire oublié[5], renait dans la bouche du ministre de l’Intérieur : « La drogue, c’est de la merde ! », tandis qu’un parlementaire, Eric Ciotti, assène qu’il faut « taper » sur les consommateurs de drogues (de toutes les drogues ? Même le vin ?).

A l’analyse réfléchie et scrupuleuse des parlementaires, ne répond que la posture et l’affirmation de certitudes qui convainquent de moins en moins. Après le temps des propos de tribune, aussi enflammés que vides, la nécessité du débat sur la légalisation du cannabis resurgira. Alors le rapport des parlementaires prendra tous son sens, malheureusement avec retard.

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[1] Rapport parlementaire
[2] Nutt D, King LA, Saulsbury W, Blakemore C., « Development of a rational scale to assess the harm of drugs of potential misuse », Lancet 2007; 369, 1047-53.
[3] DJ Nutt LA King LD Phillips Drug harms in the UK : A multicriteria decision analysis. Lancet 2010; 376, 1558-65.
[4] Decryptages – Cannabis, l’inévitable débat
[5] Jacques Séguéla, en 1986

 

 

Docteur Bernard Basset
Président Association Addictions France