Le gouvernement a lancé ce jour une campagne pour « sensibiliser sur les risques du cannabis », alors qu’une mission parlementaire au printemps dernier s’était prononcée pour une légalisation encadrée du cannabis devant l’échec de la prohibition depuis 50 ans. Cette campagne, lancée dans une période pré-électorale pour désigner le prochain président de la République, n’échappe pas au mélange des genres entre prévention, choix politiques et valorisation de l’action du gouvernement. 

 

« La substance psychoactive la plus consommée est l’alcool, devant le tabac, et troisièmement le cannabis »

 

D’emblée, pour situer les enjeux, l’annonce gouvernementale énonce que « le cannabis est la drogue la plus consommée ». Sans nier le haut niveau de consommation de ce produit stupéfiant, cette affirmation est inexacte car, dans notre pays, la substance psychoactive la plus consommée est l’alcool, devant le tabac, et troisièmement le cannabis. Mais pendant tout le quinquennat, le gouvernement a peiné à reconnaitre que l’alcool est bien une « drogue », même si elle est légale, malgré l’importance de ses conséquences sanitaires et son coût social. Donc, pour ménager le secteur viti-vinicole, la campagne se place sous le signe d’une affirmation fausse, ou largement biaisée, car le cannabis est la drogue illicite la plus consommée, derrière les drogues légales dont les risques sont bien plus importants. 

La campagne se propose de dévoiler la réalité des risques, les effets néfastes du cannabis, « derrière la fumée » pour donner à entendre par cette formule accrocheuse que les risques seraient sinon cachés, du moins banalisés. Le gouvernement annonce des « chiffres à l’appui » pour valoriser la mobilisation de l’État. Pour atteindre ces objectifs, le gouvernement a ciblé trois thèmes : le décrochage scolaire, les accidents domestiques (ingestion accidentelle de cannabis par des enfants) et l’insécurité (morts violentes liées au trafic), qui seront suivis par une campagne de prévention avec Santé publique France pour « décrocher du cannabis ». 

La consommation de cannabis n’est certainement pas favorable à la réussite scolaire et, comme tout produit psychoactif (l’alcool par exemple), sa consommation est déconseillée pendant la période de maturation du cerveau qui s’achève vers 25 ans. Mais pour autant, le problème du décrochage scolaire est moins simple que la vision mécaniste qui nous est proposée. D’une part, on ne connait pas le nombre jeunes qui décrochent de leur scolarité à cause du cannabis. D’autre part, certains peuvent devenir consommateurs parce qu’ils ont décroché. Et enfin, tous ceux qui « fument » ne décrochent pas, fort heureusement. En réalité le décrochage scolaire est un phénomène complexe faisant intervenir des facteurs individuels, sociaux et de parcours de vie dont le cannabis n’est qu’un élément parmi d’autres. 

Le site gouvernemental nous apprend ensuite que les accidents domestiques par ingestion de cannabis par les enfants ont été multiplié par 2,5. Quand on se reporte à l’étude de l’ANSM [1] sur le sujet, on voit que cela concerne 6 enfants par mois sur la France entière, dont 1 seul avec le pronostic vital engagé (c’est trop bien sûr). Heureusement aucun décès n’est survenu. Mais est-ce un problème de cannabis ou d’accident domestique ? Quand des enfants avalent du liquide pour nettoyer la vaisselle, on ne fait pas une campagne contre le nettoyant. Le sujet est davantage celui de parents inconséquents qui laissent des produits toxiques (dont du cannabis) à la portée de leurs enfants [2] mais ce serait évidemment moins spectaculaire que d’incriminer le seul cannabis. 

Enfin, concernant la survenue de schizophrénie en cas de consommation, nous savons aujourd’hui que le risque est effectivement accru mais, là encore, il aurait été préférable de chiffrer la contribution du cannabis alors que la schizophrénie affecte déjà 0,75% de la population. D’autre part, certains jeunes utilisent (à tort) le cannabis pour calmer les angoisses liées à l’apparition des premiers symptômes de la maladie. Une nouvelle fois, un sujet scientifiquement complexe est réduit à une présentation trop simplifiée, sinon simpliste. 

 

« Cette insécurité est largement la conséquence de la prohibition, inefficace en ce qui concerne la consommation »

 

Le 3ème thème de la campagne est l’insécurité (morts violentes liées au trafic), mais cette insécurité est largement la conséquence de la prohibition, inefficace en ce qui concerne la consommation, mais génératrice d’une économie souterraine aux effets pervers. 

Face à ce « constat », le gouvernement valorise son action en termes de tonnes de drogues saisies et d’amendes infligées. Mais malgré des saisies spectaculaires, comment se fait-il que la consommation de cannabis soit toujours à un aussi haut niveau en France ? C’est tout le problème posé par une politique prohibitionniste dont l’échec est aussi révélé par l’importance de la circulation du produit dont les saisies ne sont qu’un pâle reflet. 

Quant aux amendes, et particulièrement avec la nouvelle amende forfaitaire délictuelle mise en place pour les consommateurs depuis un an, le gouvernement indique que 62 000 amendes ont été infligées depuis le début de l’année, soit probablement 120 à 130 000 à la fin de 2021. On peut déjà constater que c’est un chiffre très inférieur à ceux des années précédentes quand environ 200 000 infractions à la législation sur les stupéfiants étaient verbalisées. Par ailleurs sur les 62 000 personnes auxquelles une amende a été infligée, on ne sait pas combien s’en sont réellement acquitté. Et ce chiffre est évidemment à mettre en regard des 1,5 millions de consommateurs réguliers qui chacun commettent plusieurs infractions par mois.  

 

« Cette campagne qui est faite sans concertation avec le milieu addictologique se signale d’emblée par ses a priori »

 

Il est évidemment légitime pour un gouvernement de faire une campagne de prévention envers un produit psychoactif comme le cannabis. Mais cette campagne qui est faite sans concertation avec le milieu addictologique se signale d’emblée par ses a priori (pas de mise en perspective avec les autres drogues), par une information incomplète et imprécise sur les risques, et par une présentation de l’action publique qui interroge. La communication politique a pris le dessus sur les objectifs de prévention.

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[1] https://ansm.sante.fr/actualites/augmentation-du-nombre-dintoxications-au-cannabis-par-ingestion-accidentelle-chez-les-enfants

[2] Pour les accidents domestiques des enfants pendant le confinement : https://www.parents.fr/actualites/enfant/les-accidents-domestiques-graves-en-hausse-chez-les-enfants-durant-le-confinement-444257 

 

 

 

Docteur Bernard Basset
Président Association Addictions France

 

 

 

Docteur Alain Rigaud
Président honoraire Association Addictions France