Le journal Le Parisien a publié le 3 juin un sondage (IFOP) attestant de l’évolution spectaculaire de l’opinion sur la politique à mener envers la consommation de cannabis. Alors que la communication gouvernementale et présidentielle s’évertue à justifier la politique de prohibition et de répression, la population française est désormais majoritairement favorable à une dépénalisation : 51% des Français y sont aujourd’hui favorables (en hausse de 8 points par rapport à 2017), poursuivant une tendance qui s’est affirmée au long des années.


Mais la population émet aussi un jugement sans appel sur la politique actuelle qui est très largement considérée comme inefficace, que ce soit pour prévenir les risques pour la santé (78%), limiter la consommation (83%) ou enrayer les trafics (84%).


Une certaine confusion semble exister dans la population entre la dépénalisation (absence de répression de l’usage) et la légalisation (autorisation de commercialisation), même si la tendance est également incontestable : 67 % des Français estiment que la « légalisation régulée » du cannabis permettrait de « reprendre le contrôle » face aux trafiquants et de mieux protéger la santé des consommateurs.


Ce sondage apporte un contrepoint cinglant à une communication gouvernementale d’un autre âge qui consiste à croire que diaboliser le cannabis – le Comité interministériel de lutte contre les stupéfiants vient par exemple de publier une plaquette largement centrée sur les dangers du cannabis, plus impressionniste qu’argumentée sur le plan scientifique – et donner des coups de menton suffit à résoudre le problème. Depuis des semaines, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, proclame que « le cannabis, c’est de la merde », persuadé qu’une communication racoleuse suffira à convaincre.


A l’échec de la politique s’ajoute presque mécaniquement l’échec de la communication gouvernementale, plus idéologique que soucieuse des faits et des connaissances. Les raisons de cette fracture progressive entre l’opinion et les gouvernants sont multiples :

  • Le renouvellement des générations fait que, sociologiquement, une très forte proportion de la population a été exposée directement (la moitié des jeunes a expérimenté le cannabis à 17 ans) ou indirectement (consommateurs dans l’entourage et la famille). La réalité des effets du cannabis est dès lors confrontée à un discours apocalyptique qui ne peut être crédible, même si la population dans le sondage apparait soucieuse de protéger la santé et est consciente des risques liés à la consommation pour les jeunes.
  • Le jugement sur l’inefficacité du cadre juridique actuel et sur la répression est quasi unanime, ce qui n’est nullement étonnant quand on peut constater qu’une politique menée depuis 50 ans n’a eu pratiquement aucun effet sur le niveau de consommation, ni sur la sécurité publique.
  • L’évolution internationale du cadre juridique dans plusieurs pays (USA, Canada, Uruguay) ne fait que confirmer les doutes sur la prohibition.


La prise de conscience progressive des ravages causés par la consommation de tabac, mais aussi d’alcool ne peut que provoquer des comparaisons sur l’engagement sélectif d’une politique de santé publique. La résistance à informer de manière transparente sur les dangers de l’alcool, sous la pression des lobbies, ne peut qu’affaiblir la communication sur les risques du cannabis, qui, même s’ils existent, sont bien moindres que ceux de l’alcool et du tabac.


Malgré une réflexion parlementaire récente, sous l’impulsion des députés Jean-Baptiste Moreau et Caroline Janvier, il n’y aura pas de changement dans la politique des drogues au cours de cette mandature. Il est à attendre que, pendant la campagne présidentielle, chaque candidat évalue les bénéfices et les inconvénients uniquement en termes de rentabilité auprès de son propre électorat. Au-delà de ces calculs électoraux, la France est mûre pour un changement vers une légalisation encadrée comme la propose l’ensemble de la communauté addictologique.

 

 

Docteur Bernard Basset
Président Association Addictions France