Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, est adepte des déclarations martiales et sans nuances au sujet des drogues. Des coups de menton et un discours guerrier promettent une accentuation de la répression envers les usagers. Ses prises de parole et sa volonté de mettre la pression sur les consommateurs de drogues illicites, qu’il associe abusivement au narcotrafic, ne cessent de se heurter à la réalité et aux données de la science et de l’expertise.

En ce qui concerne les Haltes Soins Addictions (HSA), qu’il appelle « salles de shoot » pour leur associer une connotation négative (en occultant les soins et l’accompagnement qu’elles proposent), il s’y est clairement déclaré opposé

Pour rappel, les haltes soins addictions sont dédiées aux personnes consommatrices de drogues injectables et inhalables (héroïne, crack, Skénan …), en grande difficulté sociale et économique. Elles offrent un lieu sécurisé de consommation avec du matériel stérile, et constituent un premier pas vers le lien social et l’accès aux soins. En effet, des professionnels médico-sociaux accueillent les consommateurs. Ces lieux font partie intégrante d’une démarche de réduction des risques liés à la consommation de drogues, et permettent de diminuer le nombre d’overdoses, prévenir des passages aux urgences et diminuer le risque de maladies infectieuses et transmissibles (VIH, Hépatite C…).

Mais selon l’actuel ministre de l’Intérieur : « elles créent plus de problèmes qu’elles n’en règlent. La lutte contre les addictions ne peut pas se faire au détriment de la sécurité, avec des quartiers où se concentrent les drogués, où certains s’injectent des produits aux yeux de tous… » [1]

 

« La fermeture [des Haltes soins addictions] dégraderait la tranquillité publique »

 

Hélas pour lui ! Son prédécesseur avait demandé un audit des deux seules HSA existantes en France (dans le 10ème arrondissement de Paris et à Strasbourg). Cet audit mené par les Inspections Générales des Affaires sociales (versant santé) et de l’Administration (versant Intérieur) évalue positivement les HSA. Le rapport n’a pas été rendu public, mais les journalistes du Monde [2] en ont eu connaissance. Les conclusions publiée par Le Monde sont claires, et elles ont le mérite de rappeler quelques évidences qui font consensus parmi les acteurs de l’addictologie :

  • La consommation des drogues pré-existait à la création de ces HSA. Ce ne sont pas les salles qui « créent le problème ».
  • Leur fermeture « dégraderait la tranquillité publique, mettrait en danger des usagers aux conditions de vie très précaires et mobiliserait inutilement des forces de police pour gérer les consommations rendues à l’espace public… elle interviendrait à contre‐ temps, dans un contexte de disponibilité accrue des stupéfiants « . Les rapporteurs notent que « les seringues ramassées autour de la salle parisienne sont passées, depuis 2016, de 150 à moins de dix par jour. Quelques 550 000 injections ont eu lieu dans les deux structures, soit autant de moins dans l’espace public« . Cette analyse va à l’encontre de la position du ministre, qui dépeint des aspects très négatifs des HSA sur le voisinage.

Ce rapport s’inscrit dans la droite ligne de l’évaluation détaillée fournie par l’INSERM en 2021, qui soulignait les bénéfices de ce dispositif pour la santé et la sécurité publique et qui estimait une économie, sur 10 ans, de 11 millions d’euros de frais médicaux.

Les Inspecteurs généraux rappellent également que les HSA sont partie intégrante de la politique publique de réduction des risques, inscrite dans la loi et, qu’en conséquence, ces structures doivent bénéficier d’un portage assumé et univoque à tous les niveaux.

Les rapporteurs proposent d’inscrire dans le droit commun ces dispositifs, qui sont encore sous statut expérimental, afin de garantir leur pérennité et de prévoir, en droit, la possibilité d’ouvrir de nouveaux espaces de consommation supervisée

 

« Le rapport se livre à quelques comparaisons qui démontrent la frilosité des politiques français par rapport aux autres pays »

 

Le rapport se livre à quelques comparaisons qui démontrent la frilosité des politiques français par rapport aux autres pays, plus pragmatiques et moins idéologiques. En effet, il existe sept salles de consommation à moindres risques à Berlin, quatre à Hambourg, deux à Cologne, huit à Barcelone… Quelque 150, au total, ont été recensées dans seize pays.

Le rapport est bienvenu dans une période de polarisation des débats où, malgré leur échec patent, les politiques de répression des consommateurs sont présentées comme la seule solution.

Force est de constater que les ministres de l’Intérieur successifs ferment les yeux sur les difficultés que traversent les personnes qui fréquentent les HSA : sans abrisme, manque d’accès aux soins, comorbidités, problèmes psychiatriques… En s’enfermant dans des croyances erronées autour de la consommation de drogues, une partie de la classe politique propose des solutions inadaptées en affirmant que « La solution contre les addictions, c’est d’abord la sensibilisation sur les dangers de la drogue » (Bruno Retailleau). Ces déclarations ne font que renforcer le sentiment de rejet de la part de certains riverains.

 

« L’éthique médicale (soigner, soulager sans moralisme ni discrimination), mais aussi, plus simplement et plus fondamentalement, un souci d’humanité à l’égard de ces personnes en grande souffrance, devraient nous guider collectivement. »

 

Dans l’immédiat, Addictions France souhaite la publication du rapport et l’organisation d’une concertation autour de ses conclusions et préconisations, qui soit guidée par le souci de répondre aux besoins des personnes consommatrices, et des riverains, dans le respect des données de la science et de l’évaluation de cette politique publique.

Nous demandons aux ministres de la Santé et de l’Intérieur d’harmoniser leurs déclarations sur cette base, loin des effets de tribune qui ne résolvent rien.

Addictions France, qui inscrit son action dans une logique de réduction des risques et des dommages s’est constamment positionnée en faveur des salles de consommation supervisée, appelée HSA en France, car l’éthique médicale (soigner, soulager sans moralisme ni discrimination), mais aussi, plus simplement et plus fondamentalement, un souci d’humanité à l’égard de ces personnes en grande souffrance, devraient nous guider collectivement.

La pérennisation et le déploiement des HSA est nécessaire et l’appui de l’Etat primordial.

[1] https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/la-lutte-contre-le-narcotrafic-exige-autre-chose-que-des-formules-toutes-pretes-tribune_241952.html

[2] Mattea Battaglia et Camille Stromboni, « Drogues : un rapport des inspections valide les « salles de shoot » », Le Monde, du 18 novembre 2024

[3] Association Addictions France, Le Crack à Paris, Décryptages, 2021 : https://addictions-france.org/datafolder/uploads/2023/01/Decryptages-N-48-Le-crack-a-Paris-RV-2023.pdf

 

Bernard Basset, Président d’Addictions France

 

 

 

  Indra Seebarun, Chargée de plaidoyer