La simplification économique au bénéfice des alcooliers
Le 7 / 04 /2025
Le Parlement débat actuellement d’un projet de loi sur la simplification de la vie économique, un objectif qui serait louable s’il n’était détourné pour servir au mieux les intérêts des alcooliers au mépris de la santé publique.
Comme d’habitude, le lobby alcooliers avance masqué, n’osant pas afficher son véritable objectif : faire consommer davantage d’alcool par une population qui paye pourtant déjà un lourd tribut en termes de santé (49 000 morts, 1ère cause de fréquentation des services d’urgences hospitalières) et de violences (routières, sexuelles, intrafamiliales…). L’occasion était trop belle, sous prétexte de simplifier la vie des administrés et de rendre l’économie plus performante.
C’est ainsi que le texte voté par les députés en commission a adopté deux amendements qui vont clairement à l’encontre de la prévention du risque alcool :
- Un amendement a été adopté pour autoriser les commerçants ambulants à vendre de l’alcool fort, par l’abrogation de l’article L. 3322-6 du code de la santé publique. Cette proposition est directement issue des demandes des lobbies de l’alcool, comme en témoigne la déclaration de la Fédération Française des Spiritueux auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sur « l’autorisation de la vente de spiritueux sur les marchés au même titre que le vin et la bière »[1].
S’il était confirmé en séance publique, cet amendement aurait pour conséquence une vente de spiritueux en dehors de tout cadre règlementé. Car il est évident que les ventes ambulantes (marchés, foires) se prêtent par définition peu au respect des règles (formation imprécise des vendeurs ambulants, horaires de vente incontrôlables, difficulté du contrôle de l’âge, etc.), et seront propices à la vente aux jeunes, à l’encontre de l’objectif affiché par le gouvernement de protection de la jeunesse. Elle créera inévitablement une inégalité entre les commerces fixes et les commerces ambulants, prélude probable à une déréglementation générale.
Il faut rappeler que les autorités internationales telles que l’OMS et les scientifiques[2] demandent un strict contrôle de l’offre de boissons alcooliques pour en réduire les dommages.
- Un amendement adopté par les députés vise à supprimer les commissions municipales des débits de boissons. Composées de différents acteurs locaux, ces commissions peuvent être créés par les maires pour les éclairer sur les installations de débits de boissons permanents et temporaires, ainsi que sur l’activité des débits installés dans la commune. Elles peuvent ainsi aider le maire à fixer les horaires de fermeture des débits de boissons temporaires, restreindre la consommation d’alcool sur la voie publique ou la vente de boissons à emporter lors de la période nocturne[3]. Alors que le gouvernement souhaite élargir l’accès à la licence IV aux communes de moins de 3 500 habitants, ces commissions représentent un outil de conseil et de contrôle indispensable au regard des enjeux de santé publique. Bien qu’elles soient facultatives, leur suppression semble inopportune, d’autant plus que le maire joue désormais un rôle central dans l’attribution des licences. Dans ce contexte, affaiblir les mécanismes de régulation locaux apparaît en décalage total avec les arguments mis en avant pour faciliter la création de nouvelles licences IV.
Ainsi, on le voit, sous couvert de simplification administrative, les députés proposent de véritables cadeaux au secteur économique de l’alcool.
Le lobby alcoolier, au Parlement comme ailleurs, utilise régulièrement et systématiquement un vocabulaire émollient et lénifiant pour dissimuler ses véritables intentions qui est de démanteler progressivement les mesures de protection de la santé qui gênent son commerce. C’est pourquoi, ses porte-parole ne parlent jamais d’attaquer la loi Evin, mais de la « clarifier« , la « préciser« , la « fluidifier« , etc.
Les débats reprendront cette semaine en séance publique à l’Assemblée nationale, avec en perspective un ensemble d’amendements[4] destinés à assouplir encore plus les règles encadrant la dégustation de vins et de spiritueux. Ces mesures concernent notamment les maisons de vin, les lieux de production, ainsi que les dégustations – gratuites ou payantes – organisées à l’initiative des monuments nationaux dans le cadre de la valorisation des appellations et indications géographiques locales. Derrière ces propositions, on retrouve une fois de plus l’action concertée des représentants du secteur alcoolier, qui déclarent ouvertement auprès de la HATVP leur volonté de « faciliter l’accès à la licence pour les Maisons de spiritueux pratiquant le spiritourisme » [5].
Or ces établissements offrent une consommation sur place, posant les mêmes problèmes que les bars ou restaurants en matière de responsabilité : formation du personnel, détection des consommations excessives, respect de l’interdiction de vente aux mineurs, etc. Dans un souci de cohérence et de santé publique, ils devraient donc être soumis aux mêmes obligations. Mais ici encore, sous couvert de valorisation du patrimoine ou d’attractivité touristique, il s’agit avant tout de réduire les contraintes pesant sur la vente d’alcool.
Avec ce projet de loi de simplification, la santé publique, reléguée à l’arrière-plan, risque une fois de plus de payer le prix fort. Les profits, eux, n’attendront pas.
Bernard Basset, Président
[1] Fiche FÉdÉration FranÇaise Des Spiritueux
[2] Quick buys for prevention and control of noncommunicable diseases, The Lancet Regional Health – Europe (2025)
[3] Cf. Guide pratique « Le maire face aux conduites addictives », Mildeca
[4] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/1191/AN/718 ; https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/1191/AN/1643 ; https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/1191/AN/1648 ; https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/1191/AN/1639
[5] https://www.hatvp.fr/fiche-organisation/?organisation=438144107#&fiche=O3WIR6NH