Le lobbying de l’industrie de l’alcool contre le pictogramme « femme enceinte » mis à jour dans une recherche inédite
On le sait, la consommation d’alcool au cours de la grossesse peut avoir des répercussions graves pour l’enfant à naître (telles que des déficiences physiques, intellectuelles, cognitives et comportementales)[1] et est, de ce fait, une problématique majeure de santé publique. En France, et malgré les campagnes de prévention régulières sur ce thème, 27% des femmes consomment de l’alcool au cours de la grossesse[2].
Pour réduire cette consommation à risque, différentes mesures ont été mises en place, dont le pictogramme « femme enceinte » apposé sur les packagings alcool (ou la phrase « La consommation de boissons alcoolisées pendant la grossesse, même en faible quantité, peut avoir des conséquences graves sur la santé de l’enfant »). Cette mesure est obligatoire en France depuis 2007, et a pour objectif d’informer sur les dangers d’une consommation d’alcool au cours de la grossesse.
Or ce pictogramme est très petit, positionné la plupart du temps au dos des emballages d’alcool, et est donc peu visible et peu efficace pour informer les consommateurs, comme l’ont montré des recherches[3]. C’est pourquoi en 2018, un agrandissement est proposé par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives[4] et soutenu par la Ministre de la Santé de l’époque afin d’accroitre sa visibilité. Or depuis cette date, rien n’a bougé, le gouvernement étant a priori plus sensible aux sirènes de l’industrie de l’alcool qu’aux arguments sanitaires des acteurs de la santé.
Afin d’analyser le lobbying déployé par la filière alcool pour contrer cette proposition d’agrandissement du pictogramme en 2018 (et sa mise en place en 2007), une étude inédite, publiée dans la revue Frontiers in Public Health, a analysé les arguments diffusés dans la presse généraliste française sur une période de 20 ans.
Les résultats révèlent que la filière alcool conteste cette mesure en particulier la filière viticole, en utilisant largement la presse généraliste pour diffuser ses arguments et influencer de ce fait les débats publics. C’est d’autant plus problématique pour la santé qu’il existe un déséquilibre fort dans la presse entre ces acteurs économiques et les acteurs de la santé, en défaveur de ces derniers, qui n’ont pas la même force de frappe dans les médias.
Les arguments diffusés par l’industrie de l’alcool pour contrer le pictogramme sont variés et souvent faux. Parmi les plus fréquents, on recense que la mise en place et l’agrandissement du pictogramme sur les bouteilles sont exagérés et inefficaces pour toucher les consommateurs (c’est-à-dire pour les informer et changer leur comportement), ou encore que ces mesures peuvent avoir des effets contreproductifs pour l’économie française (menace pour la filière viticole, coût élevé de leur apposition sur les bouteilles, etc.) ou encore que cette mesure fait oublier les « bienfaits » d’une consommation modérée de vin.
A la place de cette mesure gratuite pour les gouvernements et visible de toutes et tous, l’industrie de l’alcool propose le déploiement de programmes de prévention ciblées pour les femmes enceintes qu’elle pourrait par exemple piloter (cf. les campagnes menées par l’acteur de lobbying Vin et société) ou une prévention faite par les professionnels de santé (alors que l’on sait à quel point il est difficile de mobiliser ces acteurs sur la prévention alcool).
La comparaison avec des travaux publiés à l’international sur les stratégies de lobbying de la filière alcool montre que des arguments similaires sont répandus, mais que dans le même temps, il existe une « spécificité » française : les acteurs qui s’expriment le plus et le plus fort sont en lien avec la viticulture et le vin.
Au-delà de la question qui intéressait cette recherche, il est nécessaire de poursuivre ces efforts de recherche afin de mieux comprendre les techniques mobilisées par la filière alcool pour influencer les décideurs politiques. Il est important d’informer les citoyens sur ces pratiques d’influence qui ont un impact sur notre quotidien.
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Référence de l’étude : Millot Ana, Serra Martina, Gallopel-Morvan Karine. How the alcohol industry fought against pregnancy warning labels in France. A press coverage analysis spanning 20 years. Frontiers in Public Health (2022). Disponible sur: https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpubh.2022.933164/full
[1] Schölin L. Prevention of Harm Caused by Alcohol Exposure in Pregnancy. Rapid review and case studies from Member States. World health organization (2016).
[2] Popova S, Lange S, Probst C, Gmel G, Rehm J. Estimation of national, regional, and global prevalence of alcohol use during pregnancy and fetal alcohol syndrome: a systematic review and meta-analysis. Lancet Glob Health. (2017) 5:e290–9. doi: 10.1016/S2214-109X(17)30021-9
[3] Dossou G, Gallopel-Morvan K, Diouf J-F. The effectiveness of current French health warnings displayed on alcohol advertisements and alcoholic beverages. Eur J Public Health. (2017) 27:699–704. doi: 10.1093/eurpub/ckw263
[4] MILDECA. Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022. Paris (2019). https://www.drogues.gouv.fr/la-mildeca/le-plan-gouvernemental/mobilisation-2018-2022
Ana MILLOT
Ingénieure d’études / doctorante en marketing social
École des hautes études en santé publique