Le Parlement va commencer cette semaine à examiner une proposition de loi trans-partisane pour lutter contre le narcotrafic. Cette discussion parlementaire prend place à un moment où les problèmes d’insécurité liés au narcotrafic s’étendent sur le territoire national (fusillades, quartiers sous la coupe de gangs…). Par ailleurs, selon l’OFDT, le marché de la cocaïne est en plein essor[1]. Ces circonstances font que le débat sur la politique à mener envers la consommation de drogues va peut-être enfin reposer sur une approche plus rationnelle que les effets de manche qui ont souvent servi à masquer l’échec de la puissance publique sur un sujet complexe.  

Ces derniers temps, le discours moralisateur et culpabilisant à l’égard des consommateurs dominait. L’ex-ministre de la Justice Eric Dupont-Moretti déclarait « Celui qui fume son petit pétard le samedi, ce pétard-là a le goût du sang séché sur le trottoir », expression reprise par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau « Un joint a le goût du sang ». De tels propos peuvent servir à construire une image politique mais, au-delà, la seule question qui devrait se poser est : ont-ils un effet quelconque ? Il est permis de répondre par la négative pour plusieurs raisons. Faire appel à la morale suppose qu’on soit légitime pour édicter une règle de conduite distinguant le Bien du Mal. Or à l’heure actuelle, seulement 10 % de la population accorde sa confiance à la classe politique[2]. D‘autre part, nous savons que l’accroissement de l’insécurité est surtout lié à l’arrivée massive de cocaïne, et non pas de cannabis, grâce à des circuits criminels particulièrement performants et très rentables. Rendre responsables les fumeurs de cannabis parait donc en décalage total avec une analyse sereine de la situation. Enfin, la stigmatisation du consommateur dans le discours politique occulte un peu trop rapidement l’échec patent face à la montée progressive d’un narcotrafic particulièrement violent et organisé. 

La prise de conscience est tardive et lutter contre le narcotrafic est indispensable. Additions France avait déjà alerté en mars 2023 sur la stratégie commerciale de la filière criminelle de la cocaïne et sur la nécessité de ne pas se voiler la face[3]. Mais c’est évidemment plus compliqué que de s’attaquer aux simples consommateurs. Nous recommandions de porter l’effort sur la chaine d’approvisionnement, la pression sur les dockers et surtout le blanchiment d’argent sale, un sujet difficile en raison de la « perméabilité » et de l’inventivité du secteur bancaire et financier, pour réintégrer l’argent sale dans l’économie. Certains Etats avec lesquels la France entretient des relations diplomatiques normales en ont fait un des piliers de leur économie. S’attaquer au narcotrafic est une priorité, mais cela pose une fois de plus la question des choix qui sont faits dans la politique de lutte contre les drogues. 

Alors que les données scientifiques nous permettent d’établir une hiérarchie des drogues en fonction de leurs risques et de leurs dommages, la conduite de la politique publique n’en tient aucun compte. Nous le savons tous, les drogues qui tuent le plus et qui ont un coût social élevé sont les drogues légales (tabac, alcool) et selon cette grille d’analyse, le cannabis a une dangerosité faible. L’insécurité s’est fortement détériorée au fur et à mesure que la cocaïne et les drogues de synthèse se diffusaient en France et en Europe. Pourtant, il est impossible de déterminer les priorités de la puissance publique, qui pourrait répondre à quelques questions :

  • Doit-on faire une politique en fonction de la dangerosité des drogues, indépendamment de leur statut juridique ? 
  • Quelle est la priorité de la répression, les consommateurs ou le trafic ? 
  • S’il n’y a pas de priorité dans la répression, les forces de police et de justice ont-elles les moyens de tout faire ? 
  • Quelle est l’évaluation des politiques menées jusqu’à présent alors que les consommations augmentent ? 
  • le mauvais exemple du non-respect de la loi par les buralistes et les débitants de boissons alcooliques et la complaisance de l’Etat à leur égard ne discréditent-t-ils pas le rappel à la loi envers les simples usagers de cannabis ? 
  • La fragilisation de la prévention par la baisse des financements et la course d’obstacle des appels à projets est-elle opportune ? 

Il faut se rappeler qu’en 2017, le candidat Macron faisait de la répression des consommateurs par l’amende forfaitaire la solution à tous les maux. Or, selon le directeur de la police nationale[4], 434 000 amendes forfaitaires ont été faites depuis septembre 2020, soit 1 200 par jour, à mettre en regard des 900 000 usagers quotidiens de cannabis. Seulement un tiers des amendes sont réellement payées par les contrevenants.  

Par ailleurs, une récente étude sur le marché de la cocaïne révèle que seuls 21 % des achats se font via un point de deal[5], la majorité des consommateurs préférant la livraison à domicile ou l’achat via une connaissance. Cette réalité interroge sur la capacité de l’amende forfaitaire à lutter efficacement contre le trafic si les transactions se déroulent en dehors de l’espace public. 

Il est temps d’admettre que la politique de répression des consommateurs est inefficace. Le Portugal a ouvert la voie à la dépénalisation des drogues et en développant parallèlement la prévention et l’accompagnement des usagers tout en faisant baisser les consommations. Il serait sûrement pertinent de s’en inspirer. 

Faute d’une ligne politique claire et d’une politique sur le long terme, la dispersion des moyens budgétaires et humains risque de perpétuer la situation actuelle d’échec. 

En définissant des priorités pour l’action publique, en allégeant la répression des consommateurs de cannabis pour étoffer la lutte contre les réseaux criminels, en développant la prévention et l’accompagnement des usagers, en évaluant les actions, les résultats seraient sans doute meilleurs à la fois pour l’ordre public et la santé publique. C’est une voie plus exigeante que les slogans et les coups de menton mais, comme tous les sujets de société importants, elle mériterait une conférence citoyenne sans a priori. 


[1] https://www.ofdt.fr/publication/2025/drogues-et-addictions-chiffres-cles-2025-2474

[2] Sondage Viavoice pour le Don de confiance, publié le 31 décembre 2024.

[3] https://expression.addictions-france.org/articles/la-strategie-commerciale-malheureusement-payante-du-marche-de-la-cocaine/

[4] Audition de Monsieur Laugier, dans le cadre des travaux préparatoires à la loi sur le narco-trafic

[5] OFDT « la cocaïne : un marché en essor, évolution et tendances en France (2000 – 2022) »

 

 

Bernard Basset, président d’Addictions France