Le 25 septembre

Dans une interview au Monde1, Didier Tabuteau, vice-président du Conseil d’Etat, rappelle quelques principes fondamentaux en ces temps troublés, confus et chaotiques. Il réaffirme que le droit mais aussi la science sont deux piliers de la démocratie. Cette déclaration survient dans un contexte américain effrayant pour tous les acteurs de santé publique, là-bas comme partout dans le monde. La propagation des thèses complotistes au plus haut niveau de l’Etat fédéral et la suspicion sur un des acquis fondamentaux de la santé publique (la vaccination) par un ministre de la santé (R. Kennedy Jr) se doublent de décisions arbitraires à l’encontre de scientifiques qui déplaisent et de démantèlement des institutions scientifiques.

Il serait erroné de croire que nous sommes à l’abri de telles dérives dans notre pays car nous en voyons quelques prémices sur un mode encore mineur. La classe politique ignore les données de la science quand elle est otage du temps court qui rythme les carrières électorales, surtout quand les lobbies ne se privent pas d’instiller le doute (tabac, alcool, nutrition, climat, jeux d’argent). Pour autant, le rappel de Didier Tabuteau est largement partagé : « La science est le remède contre l’illusion, la possibilité de trancher des controverses pour faire avancer la vérité ». Mais au-delà de ce rappel, en quelque sorte philosophique, la classe politique, et en premier lieu l’exécutif, devrait en tirer quelques enseignements.

Car à l’opposé de la sagesse du vice-président du Conseil d’Etat, il faut prendre en compte les modalités d’action dont s’accompagne la suspicion envers la science et les scientifiques. Donald Trump ne se contente pas de vilipender les scientifiques et de contester les données qui ne lui conviennent pas politiquement, il démantèle les institutions et les agences en charge de la santé publique et du climat.

Cette impatience du politique que Trump illustre à merveille entre en conflit avec le nécessaire temps long de la science, mais aussi avec l’indispensable sérénité des chercheurs et des scientifiques. Ceux-ci aujourd’hui sont autant impliqués dans leurs travaux que dans le souci de leur avenir immédiat : on n’est guère dans un état d’esprit propice à faire avancer sereinement la science quand son emploi est menacé, ou quand l’avenir de l’organisme qui vous emploie est remis en question.

Si les pitoyables motivations trumpistes aboutissent à des effets spectaculaires et destructeurs, un débat récurrent existe en France sur la qualité de l’apport des agences nationales à la décision politique et sur la bonne organisation de ces agences. Au moment où Trump et Kennedy tirent à boulets rouges sur le Center For Disease Contrôle (CDC), le gouvernement français a missionné une inspection générale pour restructurer le paysage des agences sanitaires, dont Santé publique France qui est l’équivalent français du CDC. A chaque crise sanitaire nouvelle, les agences sont mises en cause. Mais si la responsabilité des politiques n’a en général pas de conséquences concrètes en dehors de l’altération passagère de leur image, l’inquiétude pour savoir quel sera son cadre de travail demain et le stress de devoir s’adapter à un nouvel environnement affecte et affectera les producteurs de données scientifiques à Santé publique France et dans les autres agences sanitaires éventuellement concernées. Sans compter que ces bouleversements seront vécus comme l’expiation injuste d’une faute qui, de toute façon, ne serait pas seulement la leur.

Une fois admis que le temps long est nécessaire à la science, comme nous le rappelle Didier Tabuteau, encore faut-il admettre que la science progresse aussi grâce à la sérénité de ceux et celles qui la produisent. Cette sérénité suppose une certaine stabilité de l’environnement institutionnel et matériel des producteurs de données. C’est pourquoi, plutôt que de jouer périodiquement au lego administratif, la classe politique devrait plutôt s’interroger sur sa fébrilité. Si les agences sanitaires ont besoin d’évoluer, il est plus que jamais nécessaire de se donner le temps de la réflexion, de consulter la société civile, de comparer les systèmes d’agences des autres pays européens avec lesquels elles travaillent, et de ne pas s’en remettre uniquement à une mission d’inspection qui sera toujours soupçonnée, souvent à juste titre, d’intervenir sur ordre.

La qualité des données scientifiques pour aider à la décision politique dépend du temps long de la science, mais aussi des conditions de travail offertes aux scientifiques et chercheurs. Un environnement instable ne peut que nuire.

1 https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/09/11/didier-tabuteau-la-science-et-le-droit-sont-deux-piliers-de-la-democratie_6640370_3224.html?search-type=classic&ise_click_rank=1