Les germes de l'anti-science, en France et en Europe aussi !
Les attaques contre la science se multiplient aux Etats-Unis sous l’impulsion du président Trump et de son gouvernement. Elles se traduisent par des suppressions de crédits pour les recherches sur le climat, l’environnement et la santé, la suppression de mots clés (genre, diversité, inclusion…) sur les moteurs de recherche officiels, la valorisation de moyens inefficaces (vitamine A) pour combattre l’épidémie de rougeole, l’affaiblissement de la surveillance épidémiologique, le retrait d’organismes de coopération internationale (notamment l’OMS), etc. Cette politique s’accompagne d’une dérégulation brutale par des licenciements des agents publics ou des employés des agences sanitaires chargées des contrôles et des inspections. À défaut de cohérence et d’humanité, cette politique a un seul mérite, celui d’afficher un objectif clair et unique, le soutien à une économie productiviste américaine et une idéologie ultraconservatrice et libertarienne, même s’il faut pour cela s’asseoir sur les données de la science.
Il est de bon ton de ce côté-ci de l’Atlantique de regarder avec condescendance une telle évolution et de penser que nous sommes en France à l’abri de tels excès. Cependant, le champ de la santé nous offre bien des exemples de glissements inquiétants où la science est occultée ou ignorée et ses résultats détournés au service d’une politique industrielle, d’un clientélisme à peine déguisé ou par soumission à la pression des lobbies. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la légitimité des processus démocratiques, même s’ils aboutissent à des décisions qui déplaisent, mais de contester la négation des données scientifiques établies ou leur instrumentalisation, leur détournement à des fins idéologiques ou commerciales. Il ne s’agit pas (pas encore) d’une politique à la hache comme aux Etats-Unis, mais de multiples petites atteintes qui doivent nous alerter avant qu’elles ne se généralisent.
Malheureusement, le champ de la santé et de l’addictologie a souvent fait les frais de ces pratiques repréhensibles :
· Dans le domaine de l’alimentation, les attaques par le lobby agro-alimentaire contre le droit d’information des consommateurs sont constantes et éhontées dans le cas du Nutriscore. En dehors des envolées nationalistes de la première ministre italienne, nous avons pu entendre l’actuelle ministre de l’Agriculture, Annie Genevard (élue de la région du Comté), répondre à un élu du Roquefort qui lui posait opportunément une question, que la défense de produits « remarquables » et patrimoniaux, tels que les fromages prévalaient sur l’information éclairée des consommateurs par le Nutriscore. En conséquence, son ministère bloque l’actualisation du Nutriscore depuis un an.
· Un autre ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a censuré un rapport scientifique de l’ANSES sur les épandages de pesticides dangereux pour soutenir une agriculture industrielle et productiviste.
· En matière de drogues, les risques comparés des différentes substances, parfaitement établis scientifiquement, ne sont pas pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques car elles conduiraient à se mobiliser davantage contre les drogues légales, en particulier l’alcool ou les Jeux d’Argent et de Hasard (JAH), et à mettre fin à la diabolisation du cannabis et des personnes qui en consomment.
· Comme dans le domaine de l’Agriculture, après une évaluation favorable de l’INSERM en 2021, un rapport produit par les Inspections Générales des Affaires sociales et de l’Administration, a également reconnu le caractère positif des Haltes Soins Addictions (HSA) et attestait de son réel impact en matière de réduction des risques et des dommages, n’a pas été rendu public car il contrevenait au discours gouvernemental de culpabilisation des consommateurs.
· Comme Addictions France ne cesse de le démontrer, l’alcool est un champ de bataille permanent. Alors que la communauté scientifique s’accorde désormais sur le fait qu’il n’y a pas de consommation sans risque, le lobby alcoolier a circonvenu une bonne partie de la classe politique jusqu’au plus haut niveau pour affirmer que la consommation d’alcool et surtout de vin est consubstantielle à l’identité française, qu’il faut la défendre quoi qu’il en coûte à la santé publique, au nom du patrimoine et de la culture. Le président de la République lui-même, qui affiche sa proximité avec le lobby viti-vinicole, a déclaré publiquement qu’il ne respectait pas les repères de consommation à moindre risque élaborés par ses agences sanitaires (Santé publique France et l’Institut National du Cancer).
· L’information des consommateurs est bridée sous la pression du lobby alcoolier. La manifestation la plus emblématique en France est le refus d’informer des risques pendant la grossesse au moyen d’un pictogramme d’une taille suffisante pour être bien visible et lisible sur les bouteilles. Idem au niveau européen où on attend depuis 2017 l’extension aux boissons alcooliques l’obligation de faire apparaitre sur les contenants les informations nutritionnelles, la composition et les calories.
· La censure, non assumée, sur les campagnes de prévention du risque alcool s’est produite à plusieurs reprises comme l’ont démontré les investigations des journalistes de Radio France.
· Au niveau européen, le plan de lutte contre le cancer (Beating cancer) a été réécrit sous la pression du secteur économique afin que seuls les excès de consommation d’alcool soient mis en cause, alors que le risque de cancer commence pour moins d’un verre par jour (1). La pression politique a donc prévalu sur l’information scientifique rigoureuse au niveau du Parlement européen.
La recherche scientifique ne peut pas se cantonner au cadre imposé par des options idéologiques ou des intérêts commerciaux. Au moment où on évoque l’accueil de scientifiques américains brimés dans leurs recherches, il est d’autant plus important de ne pas se voiler la face devant les atteintes à l’indépendance scientifique en France et dans l’Union européenne. Et il est indispensable de dénoncer des dérives qui, si elles sont encore limitées, s’inscrivent néanmoins dans la même logique que la politique trumpienne.
Bernard Basset, Président
Alain Rigaud, Président honoraire
Myriam Savy, Directrice du Plaidoyer