Dans le cadre de l’examen du PLFSS (loi de financement de la sécurité sociale), les sénateurs ont voté une taxe sur la publicité pour des paris sportifs et autres jeux d’argent en ligne. Cette réaction des sénateurs fait suite à un matraquage publicitaire massif et indécent en 2021 pendant l’Euro de football.

A cette occasion, les transports notamment avaient été envahis de publicités pour parier sur les résultats des matchs, allant même jusqu’à avancer de l’argent aux joueurs (200 à 400 euros selon les cas). Ces publicités racoleuses ciblaient les jeunes (souvent passionnés par la compétition), mais aussi les quartiers populaires et les personnes avec des difficultés sociales à qui on vend le rêve d’un argent facilement gagné. Tout le monde sait pourtant que le principal bénéficiaire des paris sportifs est l’entreprise de jeux en ligne et non la quasi-totalité des joueurs qui ne vivront qu’un instant d’espoir vite déçu.

Pendant l’Euro de football, ces publicités ont été largement critiquées par les médias et l’opinion publique car elles incitent fortement à des pratiques de jeu excessives. Aujourd’hui, 40% du chiffre d’affaires des opérateurs de jeux d’argent provient de personnes ayant une pratique excessive du jeu et les jeunes sont six fois plus susceptibles d’adopter un comportement problématique.

Cette pression publicitaire spectaculaire crée, à coup sûr, des comportements addictifs et, pour certains, une progressive précarité sociale au fur et à mesure que les pertes et les dettes s’accumulent. Du côté des joueurs, surtout les plus fragiles psychologiquement ou socialement, cette exposition publicitaire massive ne peut que leur nuire.

En revanche du côté des entreprises, tout va pour le mieux. Entre 2014 et 2019, les investissements publicitaires des opérateurs de jeux en ligne ont augmenté de 25%. L’Euro de football n’était qu’un banc d’essai, et préfigure ce qui nous attend en permanence, notamment à l’aune de grandes compétitions comme la Coupe du monde de football 2022, de rugby en 2023 et les JO de Paris en 2024.

C’est dans ce contexte que les sénateurs ont voté un amendement proposant une taxe de 5% sur les publicités, dont les produits seraient alloués à l’Assurance maladie pour prévenir et venir en aide aux joueurs excessifs. Cette initiative sénatoriale est bienvenue et correspond à une proposition d’Addictions France, même si elle parait très modeste par rapport à l’enjeu. En effet, il serait nécessaire de réguler le contenu des messages, leur volume et de les interdire autour des établissements d’enseignement. Addictions France milite pour une loi Evin sur les jeux en ligne et les paris sportifs.

Malgré le besoin évident d’une véritable régulation de ce qui s’annonce de plus en plus comme un fléau social, la majorité LREM au Sénat et le Gouvernement se sont opposés à cette mesure de bon sens qui relève du principe pollueur-payeur. Et les arguments avancés sont tout à fait choquants.

La rapporteure du projet de loi, la sénatrice Elisabeth Doineau, pense ainsi que les gens sont responsables de ce qui leur arrive. C’est pourquoi, elle propose de taxer les joueurs excessifs : « Il faut frapper directement au portefeuille des personnes ayant une consommation excessive », déclare-t-elle en passant sous silence la responsabilité des entreprises de paris en ligne et leur pression publicitaire sur les plus fragiles. Pas question selon elle de taxer ces pauvres entreprises, mais à la rigueur tous les joueurs : «  C’est plutôt en allant vers le consommateur que l’on réussira le mieux à faire diminuer sa consommation… Il serait donc plus cohérent de renforcer la fiscalité pesant sur ces mises ». En reprenant la doxa néolibérale, soit en clair taxer les pauvres, la sénatrice ne propose que de leur enfoncer davantage la tête sous l’eau.

Le Gouvernement, dans la même logique de laisser-faire économique, prend aussi la défense de ces entreprises déjà taxées : « Nous nous opposons à la création de toute nouvelle taxe. Par ailleurs, nous considérons que la prévention doit passer par un travail de pédagogie et de sensibilisation et que les taxes comportementales ont très souvent atteint les limites de leur efficacité, au vu des niveaux qu’elles affichent déjà ». La pédagogie est l’argument préféré des lobbies. Face à des entreprises non régulées, face à un marché sauvage et des publicités agressives, accorder une pincée de pédagogie relève au mieux de la légèreté, au pire du cynisme.

L’amendement voté par les sénateurs reviendra la semaine prochaine à l’Assemblée nationale. Nous voulons croire que le Gouvernement, et en premier lieu, le ministre de la Santé, Olivier Véran, feront leur possible pour revenir à une position de bon sens, favorable à la santé, quand bien même elle conduirait à gêner un lobby puissant en pleine pré-campagne présidentielle.

 

 

Docteur Bernard Basset
Président d’Addictions France

 

 
Docteur Alain Rigaud
Président honoraire d’Addictions France
 
 

 

Professeur Amine Benyamina
Vice-président d’Addictions France