Après les révélations sur l’annulation de deux campagnes de Santé publique France au printemps et le courrier de Vin et Société, on avait compris que le lobby de l’alcool avait fixé les limites étroites dans lequel le discours préventif pouvait s’exprimer : ne pas faire de campagne visant à la diminution des consommations, ne parler que des excès et ne pas toucher la population générale, mais seulement des sous-populations considérées comme à risque. Aussitôt la révélation de ces annulations et du cadre autorisé par le lobby, le nouveau ministre de la Santé et de la Prévention avait annoncé une priorité pour la prévention de l’alcool chez les jeunes, ces jeunes que tout politique veut protéger tant le sujet est consensuel.

Malheureusement, la campagne de réduction des risques lancée par Santé publique France avec le slogan « C’est la base » a immédiatement suscité la controverse pour de nombreuses raisons :

  • Le Gouvernement a refusé récemment d’interdire la promotion de l’alcool par les influenceurs, un moyen très puissant d’incitation à consommer pour les jeunes ;
  • Il a renoncé à une actualisation des taxes sur l’alcool au cours de l’été ;
  • La mise en lumière de l’annulation des autres campagnes de Santé publique France à la demande du lobby alcoolier est très récente et ne plaide pas en faveur de la détermination du Gouvernement sur ce sujet ;
  • Le ministre Aurélien Rousseau a annoncé la campagne sur X (ex Twitter) alors que la confiance dans le Gouvernement sur ce sujet est inexistante ;
  • Le ministre la lance de manière « hasardeuse » : il présente les affiches de la campagne sur lesquelles on peut lire par exemple « Boire aussi de l’eau si on consomme de l’alcool », tout en précisant que les messages de santé publique « peuvent se discuter ». On ne comprend pas s’il n’est pas d’accord avec le slogan ou s’il pense qu’on ne sera pas d’accord avec le conseil de boire de l’eau. Le réseau social s’enflamme alors sur le thème « vous pouvez boire de l’alcool sans problème si vous buvez de l’eau avec » et de nombreuses publications détournent les slogans pour en montrer l’absurdité ;
  • Il souligne qu’il s’agit une campagne de débanalisation de l’alcool, ce qui n’est pas le cas. En effet, la réduction des risques en mode festif, si elle est nécessaire, n’a rien à voir avec la débanalisation d’un (ou de) produit(s).

Mais surtout, ce qui frappe, c’est que la campagne s’inscrit pleinement dans les limites fixées par le lobby de l’alcool : on ne parle que des excès, pas en population générale, sans objectif de réduction des consommations.

Dès lors, ce n’est pas la qualité de la campagne qui est jugée, mais la politique du Gouvernement et son incapacité à mener une lutte résolue contre la deuxième cause de mortalité évitable, avec plusieurs concessions, tant publiques que dans le secret, au lobby alcoolier ces derniers mois.

La campagne de Santé publique France est percutée par ce contexte de défiance alors même que ses équipes ont démontré par le passé qu’elles savaient faire de très bonnes campagnes pour peu que le contrôle politique soit moins pesant. Aujourd’hui cependant, le Gouvernement considère que l’agence doit faire autant de la communication de santé publique que de la communication politique à son service.

Alors que le ministre de la Santé affiche sa détermination pour réduire la banalisation de la consommation d’alcool, il lui reste à la démontrer par des actions déterminantes sans se soucier des humeurs des alcooliers. Il s’honorerait ainsi en reconnaissant sa responsabilité et mettant fin à l’instrumentalisation de Santé publique France : il est grand temps de lui donner une autonomie sur des objectifs de santé publique qui ne soit pas soumise en permanence à un visa politique sur des critères qui n’ont rien à voir avec la santé.

 

Bernard Basset

Médecin spécialiste en santé publique

Président d’Addictions France