L’influence à des fins de marketing sur les réseaux sociaux est un phénomène relativement peu documenté. Sans être totalement nouveau, il subit une véritable explosion ces dernières années : il implique aussi bien des influenceurs à forte audience que des micro-influenceurs, voire le tout un chacun et ce, quelle que soit la génération (adultes, adolescents et enfants).

Ce phénomène interroge au regard des enjeux sociétaux qu’il soulève, au croisement de l’éthique, de la morale et du légal. En témoigne la campagne de McDonald ciblant les enfants qui a récemment fait l’objet d’une plainte de  l’UFC Que Choisir. Une étude révèle aussi le poids grandissant des influenceurs auprès des utilisateurs de réseaux sociaux, certains Français (49%) s’estimant même dépendants des personnes qu’elles suivent et de leurs publications.

L’alcool n’est bien entendu pas en reste. On voit ainsi fleurir, au milieu des stories et publications publiées sur Instagram, TikTok ou YouTube, des influenceurs poser avec des marques d’alcool, les mettre en valeur au travers de clichés travaillés ou en immortalisant – pour 24h – un moment de fête alcoolisée dans une story.

Associer l’alcool à la fête, le chic ou le glamour, ça fait quoi sur un public jeune ?

Plusieurs recherches anglo-saxonnes mettent en exergue un lien positif et significatif entre l’exposition des 12-30 ans à des messages promouvant l’alcool sur les réseaux sociaux et l’envie de consommer, le niveau de consommation déclaré, la banalisation des alcoolisations excessives et les problèmes rencontrés avec l’alcool. La Mission interministérielle de lutte contre les conduites addictives (Mildeca) s’en inquiétait elle-même dans son plan de mobilisation contre les addictions 2018-2022.

Pour l’instant, en France,  peu d’études ont été réalisées. On sait néanmoins que plus un message est subliminal, intégré dans un mode de vie et d’apparence anodine, plus il atteint son objectif : faire consommer plus, plus tôt et donner une image favorable à une marque. L’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP), dans le cadre d’un partenariat avec Addictions France, sera bientôt en mesure de nous en dire plus. Une étude est actuellement en cours pour objectiver l’impact de ces contenus pro-alcool sur l’envie de consommer chez les plus jeunes.

Qui manipule qui ?

En matière de marketing en général, un article du Figaro relevait récemment que plus d’un quart des influenceurs faisait de la publicité déguisée sur les réseaux sociaux. Une célèbre influenceuse a d’ailleurs été condamnée sur ce chef. Mais la publicité cachée est aussi émise par des individus à plus faible audience auquel les industriels, y compris ceux de l’alcool, ont recours.

Au regard de ce que l’on constate sur les réseaux sociaux, ces influenceurs sont bien peu au fait des règles de droit auxquelles ils sont soumis, le code de la consommation et loi Evin en l’occurrence. Comme le révélait l’émission Cash investigation en avril dernier, les marques d’alcool sont peu promptes à les informer de ces obligations. Et même si elles s’en défendent, force est de constater que les contenus pro-alcool émis par les influenceurs ne respectent pas la loi.

Dans ce jeu de dupe, les alcooliers instrumentalisent des influenceurs qui, pour quelques milliers d’euros, manipulent à leur tour leur audience avec plus ou moins conscience de ce qu’ils font et des risques encourus pour eux-mêmes (responsabilité pénale pour ce qui est de la publicité illicite) ou pour leur audience (initiation à la consommation, banalisation et valorisation de l’alcool pouvant entrainer une addiction à l’âge adulte).

Une loi Evin qui protège sous réserve qu’on la connaisse

Le phénomène est tellement massif et multi-supports (Instagram, TikTok, Facebook, YouTube, Snapchat) que la tâche paraît insurmontable. Il est vrai qu’on n’en serait pas là si la loi Evin n’avait pas été modifiée en 2009 en ouvrant les vannes de la publicité alcool sur internet.

Mais bien qu’affaiblie par son détricotage depuis 30 ans, la loi Evin a encore de beaux restes. Les dernières condamnations, que ce soit au pénal (Marie Brizard pour la vodka Sobieski, Bacardi pour Get 27 et Le Petit Ballon) ou au civil (Jägermeister), pour des publications très « libres » sur les réseaux sociaux le montrent : en matière d’alcool, on ne peut pas raconter n’importe quoi, même sur les réseaux sociaux.

Outre les marques, les influenceurs encourent les mêmes sanctions, avec inscription au casier judiciaire. Les alcooliers, pour préserver leur image, brouiller les pistes, contourner la loi ou l’enfreindre sans se faire attraper, n’insistent sans doute pas sur ce point lorsqu’ils signent un contrat avec un influenceur. Il est donc nécessaire de leur rappeler les règles. Et c’est ce qu’a entrepris de faire Addictions France, malgré l’ampleur de la tâche.

A travers une démarche de sensibilisation et d’information auprès des influenceurs, nous nous efforçons ainsi de faire de la pédagogie pour expliquer le sens de ces règles et des sanctions associées. Promouvoir une marque d’alcool ou banaliser sa consommation quand on a de l’influence sur des jeunes, souvent mineurs, n’est pas anodin (en plus de ne pas être légal). Il est important d’en prendre conscience.

Et la responsabilité des plateformes dans tout ça ?

Lorsqu’on est actif sur les réseaux sociaux, fan de certains influenceurs, est-il vraiment possible d’échapper à des contenus pro-alcool ? A priori, cela ne semble pas évident. Bien que l’on puisse paramétrer les publicités qui apparaissent spontanément sur son fil d’actualité (« feed »), il n’est pas possible de ne plus recevoir de publicité sur un thème en particulier. Le mieux que l’on puisse obtenir, c’est d’en recevoir moins.

Par ailleurs, si l’on estime qu’un contenu, identifié comme publicitaire ou non, ne respecte pas la loi – la loi Evin en l’occurrence –, les possibilités de le signaler à la plateforme (Facebook et Instagram, Tiktok et Youtube etc.) ne sont pas adaptées. On ne peut pas entrer dans le détail du problème, ni citer les articles de loi ou la jurisprudence. Systématiquement, la plateforme répond que ledit contenu n’enfreint pas les règles de la communauté. Pour signaler un contenu illégal, la seule option est par conséquent d’écrire à la maison mère, en Irlande pour ce qui est de Facebook (qui détient aussi Instagram) et Tiktok, sans garantie de résultat. On a connu plus simple comme processus de signalement !

Aujourd’hui, par un courrier qui a été adressé à ces deux plates formes, Addictions France demande à Facebook de s’engager à favoriser le respect des lois françaises. Parce qu’il est temps de mettre un coup de frein à des pratiques au mieux inconscientes, au pire malhonnêtes, nous agirons de même avec les autres plateformes et n’hésiterons pas à pointer les responsabilités de ceux qui font faire à d’autres ce qu’ils savent ne pas devoir faire.

 

 

Franck Lecas
Responsable loi Evin
Addictions France

 

 

Pour aller plus loin

Loi Evin et réseaux sociaux