Pour ce nouveau quinquennat, des politiques ambitieuses et transversales sur les addictions
Les élections 2022 se sont déroulées dans un climat particulier marqué par l’importance légitime des dossiers internationaux. Cependant, ces élections ne doivent pas occulter les autres dossiers et les choix profonds qui déterminent notre vie sociale pour les années à venir. La politique publique sur les addictions fait partie de ces sujets transversaux qui concernent des dizaines de millions de nos concitoyens qui, parfois sans le réaliser, prennent des risques pour leur santé en pratiquant des activités qui leur paraissent tellement habituelles que le sentiment du risque s’est estompé.
C’est le cas des pratiques addictives les plus fréquentes telles que l’alcool et le tabac, à l’origine de dizaines de milliers de morts et de souffrances évitables, mais aussi, de plus en plus, des jeux d’argent boostés par leur plus grande accessibilité grâce à Internet et aux écrans, et qui peuvent entrainer désocialisation, problèmes familiaux, pertes de revenu… bien entendu, les autres addictions qui concernent des produits moins addictifs (cannabis notamment) ou une part moins importante de la population (crack, cocaïne, héroïne, drogues de synthèse…) ne sauraient être ignorées.
Ce grand moment démocratique a été l’occasion pour notre association d’exposer aux élus nos propositions sur ce sujet qui concerne une forte proportion de leur électorat, a un impact sur l’ensemble du système de santé, sur la santé et la sécurité publique, et, selon les choix qui seront faits, trace les grandes lignes de l’avenir de notre société.
« Discordance flagrante entre un discours volontariste de protection de la jeunesse, et la tolérance envers des pratiques qui mettent sa santé en danger »
Le premier sujet d’interpellation du gouvernement et des députés est la discordance flagrante entre un discours volontariste de protection de la jeunesse, et la tolérance, sinon la complicité, envers des pratiques qui mettent sa santé en danger. Alors que nous savons que l’âge d’entrée dans la consommation est un facteur déterminant pour la survenue d’une addiction ultérieure, les gouvernements successifs ferment les yeux depuis des décennies sur la vente d’alcool et de tabac aux mineurs pour ne pas froisser la clientèle des débitants d’alcool (supérette, grands magasins, hypermarché.) ou des buralistes. Le même phénomène de tolérance se fait jour avec le développement des jeux d’argent en ligne, et des pratiques publicitaires et de marketing qui ciblent spécifiquement les jeunes.
Pourtant, la France dispose d’une grande loi de santé publique, la loi Evin, qui fait référence à l’international, et qui jette une lumière crue sur le cynisme des élus locaux et nationaux à chaque fois qu’elle est rognée au nom de la protection des intérêts du marché, et au détriment de la santé de tous. Les dérives constatées après chaque affaiblissement de la loi Evin doivent être corrigées, l’encadrement de la vente et de la publicité pour l’alcool et le tabac doit être drastique, et l’extension de la portée de la loi Evin aux jeux d’argent en ligne devrait être une priorité.
« Une action efficace repose à la fois sur les mesures éducatives, des mesures structurelles et un soutien des personnes les plus en difficulté »
Si la prévention est le mantra de tout politicien, c’est bien souvent davantage une invocation rituelle qu’un engagement à mettre en œuvre une politique publique, ou un moyen d’éviter à peu de frais un débat sur des mesures efficaces mais électoralement difficiles. Une forte proportion de nos élus, relayant consciemment ou inconsciemment le discours des lobbies économiques, se contente de cette affirmation fausse : « Il suffit d’éduquer les jeunes ». Comme si une pincée d’éducation pour la santé pouvait à elle-seule contrebalancer un océan de publicités.
Toutes les études de santé publique démontrent qu’une action efficace repose à la fois sur les mesures éducatives (avec des programmes probants par exemple), des mesures structurelles (encadrement de la publicité et des ventes…) et un soutien des personnes les plus en difficulté. L’Histoire démontre également de manière indiscutable qu’on ne peut pas s’en remettre à la seule auto-régulation des acteurs économiques, car elle n’est le plus souvent qu’une déclaration de bonne volonté sans portée réelle. L’exemple de la vente d’alcool et de tabac aux mineurs le démontre quotidiennement.
« La prohibition ne fonctionne pas »
Si l’encadrement des produits addictifs légaux est déficient, le marché des produits illicites est florissant pour les trafiquants et les dealers par refus de débattre sereinement d’un cadre législatif dont l’échec est de plus en plus patent et de plus en plus visible. La loi de 1970 sur les stupéfiants reposait sur le modèle de l’héroïne, qui ne correspond qu’à une minorité des consommations. La loi s’est révélée inadaptée pour freiner la consommation de cannabis, pour prévenir la consommation de drogues de synthèse en milieu festif, la cocaïne ou le crack.
Comme pour la prévention, les politiques usent et abusent depuis cinquante ans d’une phrase passe-partout et qui ne signifie rien « Je réprimerai plus fortement ». Mais les coups de mentons en période électorale se heurtent à la réalité, bien connue depuis la Prohibition de l’alcool au USA : la prohibition ne fonctionne pas, mais surtout elle enrichit le crime organisé et nuit à la fois à la santé (produits de qualité aléatoire voire dangereux), à la sécurité publique et à la cohésion sociale (les criminels font régner leur propre loi sur des quartiers entiers). Mais tétanisée par un sujet risqué électoralement, la classe politique fait majoritairement l’autruche.
Rappelons enfin le coût social des drogues (licites et illicites) pour la société française : 250 milliards d’euros par an. A lui seul, ce chiffre justifie que la politique publique en matière d’addictions soit prioritaire.
Bernard Basset,
Président d’Addictions France