Promotion de la consommation d’alcool : les parlementaires agissent, le Gouvernement botte en touche ?
En septembre 2024, Addictions France publiait un rapport alarmant sur le marketing de l’alcool sur les réseaux sociaux. Les résultats étaient sans appel : 79 % des 15-21 ans voient des publicités en faveur de l’alcool toutes les semaines sur les réseaux sociaux et 25% en voient tous les jours. De plus, le marketing léché des marques d’alcool rendent la consommation d’alcool attrayante.
Face à cette situation, la recommandation d’Addictions France était ambitieuse : interdire le marketing de l’alcool sur les réseaux sociaux. En effet, les publicités ont un impact direct sur les consommations : 23% des adolescents ont eu envie de boire un alcool mis en avant dans une publicité. Or la consommation précoce d’alcool augmente significativement les risques pour la santé.
Plus de 165 parlementaires ont co-signé des propositions pour réduire la diffusion à ces publicités et sanctionner celles et ceux qui contreviennent à la loi. Pour la protection de la santé des jeunes, seul le Gouvernement manque à l’appel.
Des parlementaires engagés pour une régulation plus stricte
Cyrille Isaac Sibille, Député du Rhône, Karine Lebon, Députée de la Réunion, Loïc Prud’homme, Députée de la Gironde, ainsi que Marion Canalès, Sénatrice du Puy-de-Dôme, ont pris la mesure du phénomène. Ils se sont mobilisés pour la santé publique et la prévention des addictions en travaillant sur des propositions de loi visant à encadrer plus strictement le marketing de l’alcool auprès des jeunes.
Plusieurs modalités ont été évoquées :
- Interdire la publicité par les influenceurs sur les réseaux sociaux (avec une exception pour les professionnels travaillant dans le secteur des AOP/AOC) ;
- Interdire les publicités autour des écoles ;
- Renforcer les sanctions existantes en augmentant le montant de l’amende en cas de non-respect de la loi Evin ;
- Sanctionner les plateformes.
165 parlementaires issus de divers partis politiques, dont trois anciens ministres et l’actuel ministre chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, soutiennent les initiatives. Preuve que la prévention de la consommation excessive d’alcool est un enjeu transpartisan1.
Propositions de loi portées par Cyrille Isaac Sibille et Karine Lebon, déposées respectivement les 19 novembre et 3 décembre 2024
Marion Canalès, Sénatrice, a pour ambition d’évaluer les modalités pour ne plus permettre aux plateformes de diffuser des publicités en faveur de l’alcool sur les réseaux sociaux.
Des mesures efficaces et adaptées
Jusqu’à présent, les propositions de loi déposées à l’Assemblée nationale présentent des mesures consensuelles :
- Prévention auprès des jeunes : Elles réduisent leur exposition à des publicités, en empêchant leurs influenceurs favoris de promouvoir l’alcool.
- Equilibre économique : Les publicités proviennent généralement des géants de l’industrie de l’alcool (Pernod Ricard, Heineken, Aperol Spritz, Corona…) qui achètent des espaces publicitaires sur les plateformes tout en faisant appel à des influenceurs. Ainsi, les mesures proposées auront un impact très limité sur les petits producteurs locaux, souvent absents des réseaux sociaux.
Comme le souligne Marion Canalès auprès de Public Sénat : « On n’est pas contre l’alcool, on veut encadrer la publicité qui incite à consommer de l’alcool ». En somme, il s’agit de propositions applicables et mesurées de santé publique.
La Sénatrice Marion Canalès, lors d’une conférence de presse du CHU de Clermont Ferrand et d’Addictions France, le 9 janvier 2024.
Par ailleurs, ces propositions adoptent une logique préventive et non punitive : elles visent à diminuer l’incitation à boire auprès des jeunes, plutôt que de contrôler la légalité des contenus au regard de la loi Evin, après leur diffusion auprès de millions de personnes.
Une réponse gouvernementale insuffisante
Jusqu’à présent, le ministère de la Santé ne souhaite pas agir pour la prévention. Arthur Delaporte, Député du Calvados, a posé une question écrite au Gouvernement pour comprendre ce que le ministère de la Santé prévoyait pour endiguer le phénomène. La réponse n’est pas à la hauteur : « Le cadre juridique actuel paraît à ce stade suffisant, et le Gouvernement prévoit de poursuivre les contrôles. »
Cette approche soulève plusieurs problèmes :
- Elle s’inscrit dans une logique d’action en aval, une fois les infractions commises, plutôt que d’agir en amont pour prévenir ces pratiques.
- Elle ne prend pas en compte l’ampleur des preuves rassemblées par Addictions France – association habilitée à effectuer les contrôles – montrant que les contrôles actuels ne pourront pas enrayer les pratiques illégales et continueront de favoriser la consommation d’alcool chez les jeunes.
Réponse à la Question au Gouvernement posée par écrit par le Député Arthur Delaporte. Disponible sur le site de l’Assemblée nationale.
Nouveau ministre chargé de la Santé : une opportunité ?
Un espoir demeure. Le nouveau ministre chargé de la Santé et de l’accès aux soins, Yannick Neuder, Député de l’Isère, a lui-même co-signé les propositions de loi sus-citées. Cette position, que nous saluons, pourrait marquer un tournant si elle se traduit par une volonté politique affirmée en faveur de la prévention.
Or ce sujet crispe au sein du Parlement. « Dès qu’on parle de la moindre contrainte législative autour de l’alcool, on nous traite d’hygiéniste » souffle la Sénatrice Canalès au micro de Public Sénat.
Les potentiels conflits d’intérêts au sein du ministère de la Santé sont également à craindre. Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, affirmait en mai 2024 que « la stratégie de prévention de la France, c’est de consommer avec modération » et déclarait, en 2016, qu’il « il faudrait être moins psychorigide » sur la publicité en faveur de l’alcool.
Face à la mobilisation des acteurs de santé, des parlementaires et des experts en santé publique, nous espérons que les politiques publiques engagées par le ministère de la Santé placeront réellement la santé publique au cœur des priorités, et non les intérêts économiques des industriels.