Alcool et cancer du sein : un lien méconnu mais scientifiquement prouvé
Chaque année en France, environ 8 000 des 61 000 nouveaux cas de cancer du sein sont attribués à la consommation d’alcool, même modérée. Selon l’Institut national du cancer (INCa), un simple verre par jour suffit à augmenter significativement le risque. Malgré cela, l’alcool reste un facteur de risque encore largement sous-estimé, alors qu’il est identifié comme la deuxième cause de cancer évitable après le tabac.
Un mécanisme biologique bien identifié
Le lien entre consommation d’alcool et cancer a été scientifiquement établi pour au moins sept localisations de cancers : colorectal, œsophage, foie, bouche, du pharynx, larynx mais aussi sein. Contrairement à certaines idées reçues, toutes les boissons alcoolisées sont concernées (vin, bière, spiritueux) car le risque provient de l’éthanol, l’alcool pur présent dans toutes les boissons alcoolisées. Une fois ingéré, l’éthanol est métabolisé par l’organisme en acétaldéhyde, un composé toxique capable d’endommager l’ADN des cellules, y compris les cellules mammaires. L’alcool provoque également un déséquilibre hormonal en augmentant notamment le taux d’œstrogènes, les hormones directement impliquées dans la prolifération de certaines cellules cancéreuses du sein. Ces mécanismes expliquent pourquoi la consommation d’alcool, même à faible dose, constitue un facteur de risque réel, mesurable et évitable.
La lutte contre le cancer du sein passe aussi par la connaissance et la prise de conscience de ce facteur de risque évitable.
Réduire l’alcool, un levier clé contre le cancer du sein
En France, plusieurs grandes études épidémiologiques ont contribué à documenter le lien entre alcool et cancer du sein. La cohorte E3N, qui suit près de 100 000 femmes depuis 1990, a permis à l’Inserm d’évaluer en 2023 l’impact des comportements de santé sur le cancer du sein. L’étude, menée sur plus de 67 000 femmes âgées de 42 à 72 ans, a confirmé que l’alcool est l’un des principaux facteurs comportementaux modifiables. D’autres travaux viennent compléter ce constat. L’étude NutriNet-Santé, bien qu’axée sur l’alimentation en général, s’est penchée sur les changements de consommation après le diagnostic de cancer, permettant d’approfondir la compréhension des liens entre alcool, pronostic et récidive. Plus récemment, une vaste étude hospitalière menée par le CHU de Bordeaux en collaboration avec l’OMS a suivi plus de 24 millions de patients hospitalisés en France métropolitaine entre 2018 et 2021. Elle a montré que les personnes alcoolodépendantes bénéficiant d’une prise en charge (accompagnement pour un sevrage) présentaient une réduction de 40 % du risque de développer un cancer lié à l’alcool, incluant le cancer du sein.
Dans une note publiée en mars 2024, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) alertait : “Pour les femmes en Europe, le cancer du sein est le principal cancer causé par l’alcool, représentant 66 % de tous les cas de cancers attribuables à l’alcool”. Ce lien existe aussi chez les femmes qui boivent modérément. “Plus de la moitié des cas de cancer du sein attribuables à l’alcool en Europe ne sont pas dus à une consommation excessive d’alcool, et environ un tiers des nouveaux cas annuels sont dus à une consommation équivalente à deux petits verres de vin par jour”, soulignait l’instance de santé.
L’ensemble de ces données souligne la nécessité d’une meilleure information du public et d’une politique de prévention renforcée. Réduire ou arrêter sa consommation d’alcool représente une mesure concrète et accessible pour limiter les risques. Si aucune consommation ne peut être considérée comme totalement sans danger, chaque verre en moins contribue à diminuer les probabilités de développer un cancer.
Les jeunes femmes : une cible privilégiée du marketing de l’alcool
Malgré les preuves, le grand public sous-estime encore ce danger. Une étude de l’OMS-Europe, publiée en mars 2024, révélait que dans 14 pays européens, seule une femme sur cinq sait que l’alcool est un facteur de risque pour le cancer du sein. Ce chiffre tombe à un homme sur dix. Cette ignorance est d’autant plus préoccupante que la consommation d’alcool est banalisée, en particulier chez les jeunes femmes qui sont devenues une cible privilégiée pour les alcooliers (arômes sucrés, packaging rose ou pastel, noms empruntés à l’univers des cosmétiques, communication via des influenceuses ou des contenus lifestyle…)
Un rapport d’Addictions France, publié en 2024, a recensé plus de 11 000 contenus en ligne faisant la promotion de l’alcool entre 2021 et 2024, souvent relayés par des influenceurs en contradiction avec la loi Evin, qui encadre strictement la publicité sur l’alcool. La banalisation sur les réseaux sociaux rend la prévention encore plus difficile.