À l’issue du 18ème Congrès de l’Albatros qui s’est tenu à Paris du 4 au 6 juin, 4 prix Albatros ont été attribués à des spécialistes en addictologie pour récompenser leurs travaux.

Le prix « Prévention & RdRd » a été remis par Addictions France  à Nicolas Cabé, Maître de conférences et praticien hospitalier (MCU-PH) au CHU de Caen ainsi qu’à Julien Cabé, Psychiatre Addictologue, Praticien Hospitalier au CHU de Clermont-Ferrand pour la méthode de prévention « nolo » (no alcohol, low alcohol) pour les milieux festifs.

Partant du constat que l’imaginaire et le modèle économique des festivals reposent sur la consommation d’alcool, Nicolas et Julien Cabé ont codéveloppé la méthode « nolo » comme stratégie de prévention en milieu festif. Celle-ci consiste à interroger le sens des consommations en festivals, sans les interdire ni les stigmatiser

Soutenue par la MILDECA, cette démarche a été expérimentée au festival Facettes de l’Association Innovation Citoyenne en Santé Mentale, le 1er festival créé par et pour les jeunes, afin de favoriser la promotion de la santé mentale.

Le festival a proposé une offre enrichie de boissons sans alcool, à prix accessible, et l’ouverture d’une buvette « nolo », des ateliers et témoignages autour de la consommation d’alcool. Bravo à Nicolas et Julien Cabé pour ce prix 🏆👏

 

Entretien avec Julien et Nicolas Cabé, lauréats du prix « Prévention et RDRD »

 

Qu’est-ce que représente le prix « Prévention et RDRD » pour vous  ?

Nicolas : Ce prix est très important pour nous car il récompense un projet né en dehors des schémas classiques de ce que nous pouvons faire en tant qu’addictologues avec une association. Nous avons pu présenter une autre manière de faire de la réduction des risques liés à l’alcool en allant dans le milieu festif devant une communauté d’addictologues dans le cadre d’un congrès aussi prestigieux…  Nous avons candidaté pour le prix « Addictions et RdRd » car on reconnait toutes les qualités d’Addictions France dans la promotion de la prévention.

Julien : Nous avions à cœur de présenter ce projet qui en est déjà à sa 3ème édition. En toute humilité nous nous sommes dit : « Voyons ce que ça donne avant de communiquer dessus ». Les résultats sont intéressants ; on observe une dynamique qui s’est mise en place et qui semble durable. Nous sommes ravis ce prix et extrêmement fiers de ce travail, réalisé en équipe et avec l’Association Innovation Citoyenne en Santé Mentale.

 

« L’alcool n’est pas toujours le meilleur allié de la santé mentale, voire jamais le meilleur allié… »

 

 

Comment est né le projet de méthode Nolo ?

Nicolas : Il y avait un enjeu à démocratiser la réduction des risques d’alcool. Avec Julien, nous avons accroché avec l’opération du Défi de Janvier – Dry January, où même les personnes qui n’ont pas de consommation problématique d’alcool se questionnent sur leur rapport à l’alcool. Dans nos cercles personnels, nous constatons que lorsqu’ on ne boit pas, on est scruté du regard. Nous nous sommes longtemps demandé comment se positionner en tant que « non consommateur » ou « faible consommateur ». Au début, nous pensions à des partenariats avec de grands chefs ou créer des lieux « no alcohol low alcohol* ». Avec le festival FACETTES nous avons eu l’occasion de tester la méthode grandeur nature et sur un projet qui nous tient beaucoup à cœur.

*pas d’alcool peu d’alcool

Julien : Le projet est né avec Le festival Facettes créé par l’Association Innovation Citoyenne en Santé Mentale. À l’origine, de jeunes usagers se sont demandé comment faire la fête tout en faisant attention à leur consommation d’alcool… Ils ont vite conclu que l’alcool n’est pas toujours, voire jamais le meilleur allié de la santé mentale… Ils ont alors cherché des addictologues pour les orienter et un de nos collègues nous a recommandés. Lors d’une première assemblée générale nous avons présenté le concept anglosaxon « nolo ».  Avec Nicolas, on se demandait si la gastronomie française s’emparerait un jour de cette méthode. Puis, nous avons vu des chefs développer ce concept… C’est là que l’idée de la mettre en place dans un festival a émergé. Au fur et à mesure différents outils ont été proposés : le kit « nolo », un guide de transférabilité sur d’autres plateformes et d’autres évènements…

 

« En communiquant nous avons conscience que nous serons exposés à des lobbies qui n’ont pas du tout envie de voir cette démarche mûrir dans les festivals. »

 

Quels sont vos projets pour développer et faire connaître le « nolo » ? 

Nicolas : Il nous faut comprendre pourquoi ça marche et pérenniser les financements. L’alcool représente une part importante du financement des festivals. D’autres secteurs comme le sport, à travers les clubs house, fonctionnent sur le même modèle. L’idéal serait d’obtenir des financements publics pour faire en sorte que plus tard, des structures partenaires proposent des espaces « safe » vis-à-vis de l’alcool et que cela soit intégré dans une logique globale afin d’éviter les blocages financiers. Notre objectif c’est de pouvoir proposer ce projet à d’autres types d’événements et de réduire la peur que certains ont d’organiser un évènement avec peu ou pas d’alcool. Nous allons commencer par donner des kits de démarrage aux partenaires intéressés.

Julien : Un premier élément serait de pouvoir financer la production des outils, notamment les kits. Sur le festival Facettes, c’est maintenant bien ancré, le modèle a été expérimenté. Nous allons l’étudier sous tous les angles pour identifier les leviers. Ensuite, nous souhaitons développer et étendre cette stratégie auprès d’autres évènements, sportifs, festifs ou même en milieu professionnel. Enfin, pour assurer le bon déroulement de notre stratégie,  les aspects de financement mais aussi la recherche et l’analyse de l’efficacité sont à prendre en compte. Nous pensons que si ça fonctionne bien avec les jeunes, cela pourra s’appliquer aux personnes plus âgées et aux étudiants. Au-delà du milieu festif, il y a les BDE et les milieux sportifs qui sont très consommateurs d’alcool. En communiquant nous avons conscience que nous serons exposés à des lobbies qui n’ont pas du tout envie de voir cette démarche mûrir dans les festivals. Ce sera alors un nouveau chantier pour nous et où il faudra compter sur la communauté scientifique et addictologique.