« Des parcours de soins humains et adaptés existent »
Entretien avec Jacqueline Kerjean, cheffe du service d'addictologie au Groupe Hospitalier Bretagne Sud Lorient et vice-présidente d’Addictions France
Le dernier film d’Elsa Bennet et Hippolyte Dard « Des Jours Meilleurs » sort officiellement dans toutes les salles de cinéma du pays le 23 avril. Ce long-métrage, à la fois touchant et drôle, dresse un portrait réaliste et engagé de la complexité des émotions qui traversent les femmes alcoolodépendantes suivies en établissement de soins. Le film propose de puissantes pistes de réflexion pour parler ouvertement de l’alcoolisme chez les femmes et lever les tabous qui l’entourent.
À cette occasion nous avons échangé avec le docteur Jacqueline Kerjean, cheffe du service d’addictologie au Groupe Hospitalier Bretagne Sud Lorient et vice-présidente d’Addictions France, à propos de l’impact des changements sociaux et des rapports de genre sur la prise en charge des femmes alcooliques, de l’évolution des pratiques en addictologie, ainsi que de la pertinence de ce type de productions pour l’accompagnement des femmes présentant des conduites addictives.

Comment le rapport des femmes aux soins a-t-il évolué ?
Jacqueline Kerjean : J’ai une expérience de plus de 25 ans en addictologie et actuellement je vois plus de femmes qui viennent spontanément pour se soigner de l’addiction à l’alcool qu’auparavant. Les tabous se lèvent un peu et les modes d’alcoolisation des hommes et des femmes commencent à se ressembler beaucoup plus.
Si les femmes ont du mal à recourir aux soins lorsqu’on leur parle directement d’alcool, elles évoquent plus facilement des problèmes de santé autres. Et il se trouve que l’alcool est à l’origine de toute une série de problèmes de santé : la tension, le sommeil, etc. Ainsi, les femmes vont plus facilement consulter et être redirigées, ce qui fait qu’actuellement on les retrouve plus facilement dans le circuit de soins.
Quel regard portez-vous sur ces évolutions ?
Jacqueline Kerjean : J’ai constaté, chez mes patientes, combien la pression des injonctions à être la femme parfaite, l’épouse parfaite, la mère parfaite, etc., pesait sur elles. Mais chez les nouvelles générations, je le ressens beaucoup moins. Ce qui est d’autant plus intéressant c’est de constater que les hommes commencent aussi à s’approprier à leur tour leur rôle et s’en servent comme motivation pour entamer un parcours de soin : ils veulent être là pour leurs enfants.
Par ailleurs, nous rencontrons beaucoup de femmes dont les enfants sont placés, et là aussi je vois une évolution, car elles en parlent plus facilement maintenant. Il y a moins de honte à ce sujet-là. Elles cherchent à récupérer leurs enfants et c’est un combat qu’elles mènent avec fierté.
Quelles sont les bonnes pratiques qui favorisent l’entrée dans un parcours de soins des femmes ?
Jacqueline Kerjean : J’ai longtemps travaillé dans une structure dédiée exclusivement aux femmes et c’était intéressant pour les femmes d’avoir le choix de se soigner dans des structures mixtes ou pas. Aujourd’hui, il y en a de moins en moins, mais, dans la structure où j’interviens, je maintiens l’existence de certains espaces non-mixtes au sein des structures mixtes. Il s’agit de moments où les femmes peuvent évoquer les sujets qu’elles veulent sans avoir le regard des hommes. Et cela est important puisque parfois il y a des dépendances affectives qui peuvent biaiser les groupes de parole.
Toutefois, les groupes mixtes sont très utiles aussi. Ils contribuent à changer le regard qu’elles ont sur les hommes. À la fin, l’important c’est d’avoir la possibilité de proposer ce type de groupes, ce type de prise en charge où l’on prend en compte l’expérience des femmes.
Dans les structures mixtes il faut également essayer d’avoir un quota de femmes, pour éviter les disparités d’aujourd’hui où l’on a 90% d’hommes et 10% de femmes. Car alors ce n’est pas facile d’être la seule femme.
Le fait d’être une professionnelle femme joue-t-il un rôle ?
Aujourd’hui, il y a plus de médecins femmes qu’auparavant. Pourtant, je crois que c’est plutôt l’empathie et la douceur qui comptent, que l’on soit un homme ou une femme. Dans le film « Des Jours Meilleurs » réalisé par Elsa Benett et Hippolyte Dard on le voit très bien. Tous les intervenants professionnels sont supers, très doux et très accueillants, même quand ils ont des recadrages à faire et c’est ça qui est capital.
Quelle est votre opinion sur la manière dont le film « Des Jours Meilleurs » aborde l’alcoolodépendance chez les femmes ?
Jacqueline Kerjean : Le film est un très bon reflet de ce qui se passe dans une bonne postcure à l’heure actuelle. L’addictologie est une spécialité très particulière, puisqu’on travaille avec la science, mais on travaille aussi avec l’humain, donc avec la créativité, avec l’énergie des gens. C’est extraordinaire. Et comme dans le film, dans nos centres, les éducateurs encouragent cela. Le film correspond à ce qu’on propose dans les établissements : ateliers, groupes de parole, activités.
Il se termine également sur une note d’espoir : nous voyons des histoires chouettes et des femmes qui s’en sortent et cela est un message fort. Il faut savoir que les soins en addictologie fonctionnent bien en général parce que plus de la moitié de nos patients s’en sortent. Et ça, il ne faut pas qu’on l’oublie.