Depuis 1999, l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives (OFDT) mesure l’évolution des représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes à travers son enquête EROPP. La sixième édition, publiée en juillet 2025, permet d’identifier trois évolutions majeures du regard de la population porté sur les drogues, leur dangerosité et les réponses à y apporter. Quels enseignements en matière de politiques publiques en tirer ?

 

1- Alcool, tabac : des produits perçus comme dangereux… mais insuffisamment identifiés comme des drogues

D’après l’enquête, 17% des Français estiment en 2023 que le tabac est dangereux même en consommation occasionnelle, contre seulement 1% en 1999. De même, la part de personnes jugeant que l’alcool n’est nocif qu’en cas de consommation quotidienne a baissé, passant de 84% en 1999 à 71% en 2023.

Concernant les politiques publiques visant à réduire la consommation d’alcool, l’OFDT révèle la principale proposition plébiscitée par les Français : 74% sont favorables à une interdiction de la publicité pour l’alcool sur Internet et les réseaux sociaux, et 71% sont favorables à l’interdiction totale de la publicité pour l’alcool.

Ces évolutions positives peuvent être analysées à la lumière de l’ampleur progressive de campagnes de sensibilisation telles que le « Mois sans tabac » ou le « Défi de janvier ». La prise de conscience est pourtant à relativiser : l’étude précise que seuls 25 % des Français considèrent le tabac et l’alcool comme des drogues. Les pouvoirs publics doivent s’emparer davantage du sujet, en interdire réellement la publicité (notamment en ligne, comme plébiscité par 74% de la population) et assumer des communications claires sur les risques sanitaires et sociaux associés à la consommation d’alcool et de tabac.

 

2- Cannabis et cocaïne : une dangerosité de moins en moins perçue ?

L’enquête de l’OFDT note un regard de plus en plus tolérant vis-à-vis du cannabis. Si en 1999, 54% des Français considéraient le cannabis dangereux dès l’expérimentation, ils n’étaient plus que 38% en 2023. Cette tendance s’observe de manière plus préoccupante dans la perception de la cocaïne, en particulier chez les expérimentateurs :

– 74% des personnes l’ayant déjà consommée estiment qu’elle aide à “s’amuser et faire la fête”, contre 22% des non-consommateurs ;

– 44% y voient un “moyen d’améliorer ses performances” (contre 14%) ;

– 24% pensent qu’il est possible de “vivre normalement” avec une consommation régulière (contre 6% des non-consommateurs).

Cette normalisation chez certains usagers soulève la question du bon déploiement et financement de la prévention et de l’accompagnement des consommateurs, dans tous les territoires.

 

3- Réduction des risques : une adhésion nuancée, reflet des postures politiques et d’un manque criant d’information

L’enquête révèle une adhésion importante aux principes de Réduction des Risques et des Dommages (RdRD) et à certaines mesures éducatives : 67% des Français soutiennent par exemple les stages de sensibilisation aux risques. Paradoxalement, l’opinion évolue aussi sur le plan répressif, malgré l’inefficacité scientifiquement prouvée de ce type de traitement des usagers de drogues. En 2023, 35% des Français jugent ainsi que la prison est une “bonne réponse” pour les consommateurs de cannabis, un chiffre en hausse par rapport à 2018 (23%).

Cette évolution reflète surtout l’influence de discours politiques uniquement centrés sur la dimension sécuritaire des drogues, non sur la santé publique, en témoigne le débat sur la “loi narcotrafic“ début 2025, déjà dénoncé par Addictions France. Une majorité de la population française reste toutefois opposée à la possibilité d’emprisonner les usagers de drogues illicites (56% sur l’ensemble des drogues, 63% sur le cannabis).

Pour rappel, la stigmatisation des consommateurs est un frein majeur dans leur parcours de soins. L’étude OpinionWay pour Addictions France (mars 2025) révélait que le principal obstacle identifié par les personnes interrogées réside dans la peur du regard des autres et la honte d’en parler (58%).

 

Le bénéfice méconnu des Haltes Soins Addictions (HSA)

Si 73% des Français se déclarent favorables au déploiement des HSA, expérimentées depuis 2016 à Paris et Strasbourg, seuls 20% acceptent, en 2023, une implantation dans leur propre quartier. Cette donnée s’explique en partie par la désinformation politique entourant ces espaces, alors que leur efficacité en matière de tranquillité publique a été démontrée et saluée à de multiples reprises par les institutions évaluant les dispositifs. Addictions France a appelé à une meilleure communication publique sur le sujet (notamment à l’échelle locale) en vue de la potentielle pérennisation des HSA fin 2025.

Excepté pour le cannabis, la proportion de Français estimant que les usagers de drogues sont des “personnes malades” progresse continuellement depuis 2008, signe d’un changement de regard sur les pratiques addictives, plus centré sur les usages que sur le statut (il)licite des produits.

 

Pour aller plus loin :
– L’enquête EROPP de l’OFDT publiée en juillet 2025 : Opinions et représentations des Français sur les drogues en 2023
– Notre note de position sur la pérennisation des HSA
Support. Don’t punish. Un manifeste pour remettre la réduction des risques au cœur de la politique sur les drogues – Association Addictions France
Sondage – Près d’un Français sur deux déclare être concerné par une addiction – Association Addictions France