Créée en mars 2025, la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale dédiée aux effets psychologiques de TikTok sur les mineurs a publié son rapport en septembre dernier. Les députés Arthur Delaporte et Laure Miller, président et rapporteure, ont auditionné des centaines d’acteurs, dont Addictions France, tant des acteurs de la santé, de l’éducation que des professionnels des réseaux sociaux. Une place importante a également été accordée aux prises de parole de familles et jeunes victimes des réseaux sociaux, témoignant des effets et contenus néfastes : suicide, automutilation, troubles alimentaires, harcèlement, désinformation…

Comportant plusieurs volets, le rapport formule une cinquantaine de recommandations pour mieux protéger les mineurs face à certains dangers identifiés sur les réseaux sociaux. Plusieurs thématiques sont abordées : protection juridique des mineurs, encadrement des plateformes, renforcement des moyens pour appliquer le DSA (Digital Service Act), mesures de soutien aux familles et aux jeunes, régulation des algorithmes et de certains contenus problématiques ou encore renforcement de la prévention.

Si les politiques s’emparent enfin du sujet, il est toutefois nécessaire de faire le tri parmi les propositions pour identifier les mesures réellement efficaces sur le plan sanitaire et social afin d’opter pour une véritable politique de santé numérique.

 

Encadrement des réseaux sociaux : vers un consensus politique inédit ?

Le rapport de la Commission d’enquête, adopté à l’unanimité, indique avoir “permis de poser les bases (…) d’un constat commun, mais aussi de l’analyse commune suivante : le système économique des plateformes trouve un intérêt financier à mettre en danger les mineurs par un design algorithmique dangereux et une absence de modération, tout en s’en défendant”.

Pour Addictions France, cette prise de conscience quant à la manipulation du cerveau des jeunes par les plateformes à des fins purement économiques est salutaire. Un certain nombre de propositions de la Commission d’enquête vont donc dans le sens d’une politique de santé publique cohérente et efficace : éducation au numérique, alternatives non-numériques, hausse des moyens de l’ARCOM, encadrement et limites aux fonctionnalités “addictives”, pluralisme algorithmique.

Au-delà des risques addictifs posés par les réseaux sociaux en tant que tels, il est important de rappeler que les algorithmes favorisent aussi la promotion de contenus pour des produits addictifs (alcool, cigarette électronique, paris sportifs…) et restent visibles par les mineurs. Le manque de régulation et de modération des plateformes permet aux influenceurs de servir de relais publicitaires, en particulier pour les industriels de l’alcool et des paris sportifs.

Malheureusement, cette réalité, démontrée par Addictions France dans plusieurs rapports sur le marketing de l’alcool et des paris sportifs, n’est pas suffisamment évoquée par la Commission d’enquête. Addictions France le rappelle : il est nécessaire d’interdire la promotion de l’alcool et des jeux d’argent sur les réseaux sociaux pour protéger les plus jeunes.

 

Responsabilité parentale VS responsabilité des plateformes : ne pas se tromper de coupable

Une proposition faite par la commission d’enquête est cependant plus qu’inquiétante. Il est en effet proposé d’initier des réflexions quant à la création d’un éventuel “délit de négligence numérique” relatif à l’exposition abusive aux écrans et/ou réseaux sociaux. Ce délit viserait à sanctionner les manquements de certains parents dans la protection de leurs enfants.

Cette conception repose avant tout sur une analyse individualisante (et inefficace) du traitement des addictions, qui culpabilise les principales victimes, occulte les contextes sociaux et dédouane les véritables responsables : les acteurs économiques et les plateformes qui emploient de multiples stratégies marketing et politiques pour étendre leur influence.

De la même manière, les propositions de couvre-feu numérique et d’interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 15 ans (ou 18 ans, selon les éventuelles extensions) ne pourraient suffire, seules, pour traiter efficacement une problématique qui dépasse le simple usage des écrans par les mineurs.

 

L’accès des jeunes enfants aux réseaux sociaux : une interdiction déjà inefficace

L’interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 13 ans est, en effet, déjà largement contournée. Dans sa dernière enquête Enabee publiée fin septembre 2025 (après les conclusions de la Commission d’enquête), Santé publique France rapporte qu’environ 30% des enfants de 9-11 ans accèdent régulièrement aux réseaux sociaux.

Proportions pondérées d’enfants scolarisés en maternelle et élémentaire en France hexagonale, ayant accès aux réseaux sociaux (à la connaissance des parents) selon l’âge; Enabee (2022). Source : Santé publique France

 

Par ailleurs, les plateformes savent parfaitement adapter leurs discours aux limites d’âge (lorsqu’elles ne les ignorent pas) : par exemple aux Etats-Unis, où TikTok propose pour les moins de 13 ans une version alternative du réseau social, “TikTok for Younger Users”. Présenté par l’entreprise comme un dispositif avec une sécurité renforcée, cet outil reste avant tout une façon d’attirer et de fidéliser de nouveaux utilisateurs extrêmement jeunes… 

 

Mieux prévenir les risques addictifs en ciblant les plateformes, ou le principe du pollueur-payeur

Le député Arthur Delaporte va plus loin que les recommandations de la Commission d’enquête TikTok et propose des mesures complémentaires au rapport, notamment concernant la vérification effective de l’âge par les plateformes ou l’interdiction des paramètres algorithmiques favorisant les comportements addictifs.

Il plaide aussi pour une véritable fiscalité des réseaux sociaux suivant la logique du “pollueur-payeur” qui ciblerait les géants du numérique au regard de l’impact de leurs activités sur l’environnement et la santé. L’objectif visé est de surtaxer les plateformes qui n’agissent pas pour protéger les mineurs, et d’utiliser ces fonds pour financer associations, lanceurs d’alertes et modérateurs. Addictions France, qui promeut depuis plusieurs année l’extension du principe du pollueur-payeur aux industries favorisant les addictions, ne peut que soutenir cette proposition qui cible les vraies responsabilités.

 

Protéger les mineurs… et les adultes ?

Il est légitime et nécessaire de questionner la responsabilité des acteurs économiques tirant leurs profits du manque de régulation des réseaux sociaux, d’autant plus que la quasi-totalité de la population est concernée par l’usage de ces outils. Dans une récente interview accordée au Parisien, Amine Benyamina, psychiatre-addictologue et président d’Addictions France, rappelle ainsi que plus de la moitié des adultes sont “accros” au scrolling et aux réseaux sociaux. Ce phénomène peut constituer un premier pas vers la dépendance et de sérieuses conséquences sur la qualité de vie et de sommeil : “les adultes peuvent aussi devenir victimes des réseaux sociaux”.

Responsabiliser les plateformes et encadrer les algorithmes addictifs, plutôt que culpabiliser les parents et adolescents, permettra finalement de protéger les jeunes comme les adultes.