Paroles de pro
Catherine Ricard - Cadre de santé
Plongée au cœur de l’engagement et des défis dans la lutte contre les addictions.
En novembre 2025, Addictions France célèbre les deux ans d’ouverture de ses premiers LAM (Lits d’Accueil Médicalisés) à Amiens. Ce projet se distingue par son approche alliant à la fois hébergement, soins médicaux et accompagnement social. Pour mieux comprendre le fonctionnement de cette structure unique, la première cadre de santé de l’association, Catherine Ricard, revient avec nous sur son parcours, ses impressions, les défis rencontrés et partage ses espoirs pour l’avenir.
Comment avez-vous découvert l’association ?
J’ai découvert Addictions France un peu par hasard. Après une longue carrière hospitalière débutée en 1986, où j’ai repris des études infirmières, été formatrice en école d’infirmiers (IFSI) puis cadre de santé, notamment en EHPAD pendant 12 ans, j’ai ressenti le besoin de changement. J’ai postulé dans le cadre d’une création de poste pour l’ouverture du LAM, un projet singulier qui m’a immédiatement intéressée.

Quel souvenir gardez-vous de la mise en place du projet d’ouverture des premiers LAM d’Addictions France ?
Ce qui a été particulièrement marquant à mon arrivée en juillet 2023, c’est que toute l’équipe s’est pleinement investie pour construire le projet de manière collective : de l’élaboration des protocoles et des procédures au choix du mobilier et de la vaisselle… De juillet à novembre, un phase de préparation a été précieux pour mieux nous connaitre, de cerner les spécificités du public que nous allions accompagner, et d’établir un premier contact avec les partenaires locaux et territoriaux. Nous avons également suivi plusieurs formations sur l’agressivité et les addictions, ce qui a renforcé la cohésion de l’équipe composée de jeunes diplômés. Ce travail réalisé en amont de l’accueil des 21 résidents a été fondamental.
Pouvez-vous décrire votre métier ?
Le LAM accueille des personnes majeures sans domicile fixe, quelle que soit leur situation administrative, atteintes de pathologies lourdes et chroniques, irréversibles, séquellaires ou handicapantes, de pronostic plus ou moins sombre, pouvant engendrer une perte d’autonomie et ne pouvant être prises en charge dans d’autres structures.
En tant que cadre de santé, mon rôle consiste à mettre en œuvre et à organiser les projets de soin, à garantir la qualité du service auprès des résidents, tout en encadrant et animant l’équipe professionnelle. Je veille aussi à la qualité de vie au travail et à l’accès à la formation de chacun. Venant du secteur hospitalier, ce poste représente un véritable changement : nous gagnons en autonomie, en écoute, et les relations sont simplifiées et plus humaines.
Mon métier, auparavant très centré sur l’organisation du travail et la continuité des soins, s’enrichit ici de missions transversales. Je suis en contact direct avec les résidents, aux côtés des équipes, et nous prenons le temps nécessaire pour chaque action. Nous avons les moyens de bien travailler.
Quelle place occupe la collaboration dans votre profession ?
La collaboration est au cœur du fonctionnement du LAM. Nous avons des points de transmission quotidiens avec les équipes en poste. Toutes les deux semaines, une réunion de synthèse avec le médecin nous permet de suivre les projets personnalisés des 21 résidents et d’adapter les prises en charge. Chaque trimestre, nous réunissons l’équipe pluridisciplinaire pour discuter de l’organisation du travail, faire un retour sur nos pratiques et faire évoluer nos projets.
Lors des commissions d’admission, nous étudions les dossiers reçus du CHU d’Amiens ou des foyers d’urgence en fonction de nos critères d’entrée, notamment le degré de dépendance, afin d’assurer une prise en charge optimale.
Nous rencontrons régulièrement les partenaires externes (foyers de vie, services sociaux) qui souhaitent mieux nous connaître et nous présenter des dossiers.
Pourquoi avoir choisi la voie du médico-social ?
Deux ans après l’ouverture du LAM, le bilan est très positif. Les résidents présentent souvent des parcours de vie marqués par la rue, et expriment un fort besoin d’écoute et de considération. En tant qu’infirmière de formation, je connais le soin et peux ainsi conseiller les équipes, mais dans le secteur médico-social, il y a également une dimension d’accompagnement global, à la fois social et humain.
Les résidents, pour la plupart présents depuis l’ouverture, témoignent de leur reconnaissance. Certains conservent des liens familiaux quand d’autres sont isolés. Notre mission consiste à favoriser le vivre-ensemble, dans le respect des différences culturelles et des traditions. L’entraide est essentielle, particulièrement dans les moments difficiles. D’ailleurs, l’équipe bénéficie d’une journée de supervision mensuelle pour échanger, évacuer les tensions et analyser les expériences. La présence d’un psychologue au sein de la structure permet de renforcer cet accompagnement, auprès des résidents et des professionnels.
Pouvez-vous citer une action ou un dispositif dont vous êtes particulièrement fière ?
Je suis fière du travail collectif réalisé depuis deux ans pour faire grandir ce projet. La formation « Humanitude » que nous avons suivie a été déterminante : elle nous a permis de repenser notre façon de communiquer avec les résidents, de mieux comprendre ce que nous pouvions leur proposer, ou non, au regard de leurs parcours de vie. Cette approche nous a aidés à adopter une posture alliant chaleur humaine et professionnalisme, essentielle pour bien accompagner le public accueilli.
Quelles compétences sont essentielles à votre métier ?
La communication est au centre : être accessible et à l’écoute est primordial. Il faut aussi savoir motiver, et faire preuve d’assertivité. L’organisation, la transparence et le sens des responsabilités sont indispensables. Le cadre de santé doit être capable d’assumer pleinement ses responsabilités.
Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontée ?
Le défi majeur est la gestion des addictions au sein de la communauté de résidents. Tous les résidents ne sont pas concernés, mais certains comportements (alcoolisation, provocations) peuvent être difficiles à vivre pour l’ensemble du groupe. Nous jouons un rôle de gardiens pour assurer la sécurité collective, tout en gardant à l’esprit que nous ne sommes pas un centre de cure : nous pouvons orienter les personnes accueillies, mais nous ne sommes pas en mesure d’assurer un suivi médical dédié aux conduites addictives. C’est la spécificité du LAM.
Quels sont vos projets au sein de l’association ?
Un de nos objectifs est que rien ne soit interdit aux résidents : piscine, loisirs extérieurs… Nous voulons leur ouvrir toutes les possibilités et travaillons dans cette perspective. En 2026, le LAM passera sa première évaluation externe par la Haute Autorité de Santé, un grand défi à relever pour toute l’équipe ! A titre personnel, lorsque je prendrai ma retraite dans quelques années, je souhaite continuer à m’impliquer dans l’association, sous la forme de bénévolat, pour continuer à me sentir utile.
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