Addictions France donne la parole aux professionnels qui œuvrent au quotidien pour améliorer la santé des personnes confrontées à l’addiction.

Charles LOUIS est éducateur spécialisé au sein du CSAPA et du CAARUD de Reims, et du dispositif TAPAJ (Travail Alternatif Payé à la Journée). Au contact de publics vulnérables et fragilisés, il s’engage concrètement dans la politique de réduction des risques d’Addictions France, notamment par le prisme du travail   

Comment avez-vous découvert Addictions France ? 

Educateur spécialisé de formation, j’ai effectué mon dernier stage au CAARUD d’Addictions France à Reims. Après l’obtention de mon diplôme en 2017, j’ai d’abord travaillé 5 ans pour la Fondation de l’Armée du Salut, une organisation humanitaire investie sur plusieurs missions : hébergement d’urgence collectif, accompagnement global des familles primo-arrivantes (insertion et régularisation), sortie de rue    

 

Vous avez donc gardé un lien avec l’association après votre stage de fin d’études ? 

A travers ce stage, j’ai découvert le monde de l’addictologie et l’expérience a été révélatrice. J’ai compris que je voulais m’investir auprès de publics confrontés à des problématiques d’addictions ou en situation de grande précarité. J’ai donc gardé un lien avec le CAARUD, avant d’intégrer l’équipe fin 2022. J’ai rejoint le dispositif TAPAJ pour coordonner les plateaux de travail.   

 

Pouvez-vous nous parler du dispositif TAPAJ ? 

Déployé à Reims depuis 2021, TAPAJ (Travail Alternatif Payé Á la Journée), est un programme novateur et unique soutenu au niveau national par l’État depuis une dizaine d’années.  Il offre la possibilité aux jeunes de 16 à 25 ans en situation de précarité, de bénéficier d’un accompagnement médico-psycho-social et d’une activité professionnelle, payée à la journée. Ils participent à des plateaux de travail, c’est-à-dire des missions, qui ne nécessitent pas de qualifications ou de compétences particulières, et qui ne les engagent pas nécessairement sur la durée, mais qui sont rémunérées le jour même et les insèrent progressivement dans le monde du travail. 

Malheureusement nous n’avons pas de financement pérenne, la direction est depuis le démarrage en recherche de financements (multiples) et à ce jour, le poste n’est toujours pas financé par l’Etat (ARS ou autre).  

 

Comment sont orientés les jeunes ? 

À Reims, TAPAJ est rattaché aux Consultations Jeunes Consommateurs(CJC) du CSAPA : un tiers des jeunes est orienté après un repérage de l’équipe CJC ou peut y être orienté après quelques plateaux de travail. Le reste des orientations se fait via les services sociaux ou nos partenaires qui rencontrent des jeunes. Le dispositif est donc une double entrée, dans le soin médico-social et dans le monde du travail. Les modalités d’embauche sont rapides, elles ont souvent lieu le jour J. Les jeunes peuvent commencer à travailler rapidement, ce qui répond à leur besoin d’immédiateté.  

 

Quels types de missions sont proposées aux jeunes tapajeurs ? 

Maraichage, entretien d’espaces verts, rafraichissement de logements, manutention, bricolage, petite menuiserie… c’est assez varié ! Nous intervenons auprès d’associations et avons à cœur de conventionner avec des entreprises qui font appel à Tapaj au niveau national telles que SUEZ, la SNCF ou encore Keolis. Nous intervenons aussi auprès des particuliers pour de petits travaux. En effet, faire appel à Tapaj répond aux clauses d’insertion des entreprises et les particuliers peuvent bénéficier de 50% de crédits d’impôts. 

 

Quels bénéfices en tirent-ils ? 

Au-delà de l’aspect financier, toujours intéressant pour eux, l’enjeu est de bâtir quelque chose ensemble, au sens propre comme figuré. Ces missions leur permettent de retrouver confiance en eux et de se sentir utiles. Les tapajeurs se voient confier des responsabilités, retrouvent des repères et la satisfaction du travail et de la « bonne » fatigue. En étant actifs, ils testent leur capacité à être assidus, à respecter des horaires, à se fixer des objectifs, à ne pas consommer…  Cette expérience favorise également la socialisation. L’activité et la reconnaissance de leur travail a également des effets positifs sur leur consommation, sur leur vie personnelle, et parfois professionnelle. Certains décident de reprendre une formation dans la foulée   

 

La notion de réseau est-elle importante pour déployer le dispositif ? 

Très importante, oui. Nous avons dû faire connaitre le dispositif pour construire des partenariats durables. Il y a une vraie dynamique d’auto-entreprise : je cherche de nouveaux contrats, je formalise des devis et factures, j’assure l’approvisionnement en matériel et la maintenance des outils Au début, nous avons bénéficié du soutien de la Mission Locale, de certains bailleurs et d’autres structures comme Un chez Soi D’abord (dont nous sommes membres au sein du GCSMS) pour effectuer des prestations auprès de ces partenaires/clients, ce qui nous a permis d’accroître notre visibilité et notre légitimité. .

 

Qu’est-ce qui vous plait dans votre métier ? 

Au fur et à mesure des plateaux de travail, je me suis découvert presque une passion pour le travail manuel et l’artisanat. Actuellement, la question d’une formation technique et liée à la sécurité se pose puisque les missions se diversifient, et couvrent de nombreux champs d’intervention. Comme nous ne sommes pas des artisans, certains plateaux se présentent comme des défis. Nous faisons de notre mieux pour les relever. Il y a aussi, évidemment, un volet éducatif important. Accompagner des jeunes fragilisés implique d’adopter une posture non-jugeante et beaucoup de pédagogie. Ces entretiens pendant les trajets ou sur les chantiers se nomment « entretiens de côté » dans le jargon de Tapaj.  

Avez-vous d’autres projets au sein de l’association ? 

Depuis juillet 2024, je complète mes missions au CARRUD, plus particulièrement au sein de l’unité mobile de Châlons-en-Champagne. En camping-car, nous allons à la rencontre d’un public, parfois précaire, consommateur de drogues non-abstinent. J’apprécie particulièrement cette démarche « d’aller-vers » et je souhaite la poursuivre.  

Je souhaiterais aussi favoriser l’évolution du dispositif TAPAJ à travers des formations autour de l’alimentation – je suis cuisinier amateur. Cela nous permettrait d’enrichir l’offre de services avec, par exemple, des prestations de traiteur. De fait, travailler la notion de l’alimentation avec les personnes que nous accompagnons via Tapaj est un enjeu de santé et de prévention majeur qu’il me semble important de développer. 

Enfin, sur un plan personnel, je souhaiterais entrer en master Economie Sociale et Solidaire afin de continuer à développer mes compétences.