Addictions France donne la parole aux professionnels qui œuvrent au quotidien pour améliorer la santé des personnes confrontées à l’addiction.

Charlotte Monimart est cheffe de service en Ardèche. Elle encadre 25 professionnels répartis sur le département à Tournon-sur-Rhône, Annonay et Aubenas   

Comment avez-vous découvert Addictions France ?

J’étais auparavant cheffe de service à Marseille dans une unité d’hébergement d’urgence pour hommes isolés et sans domicile fixe. À cette époque, je collaborais déjà avec Addictions France. À la suite d’un déménagement, j’ai souhaité poursuivre mon engagement dans ce domaine, ce qui m’a motivée à postuler à Tournon, où j’ai obtenu le poste de cheffe de service.

 

Pourquoi avoir choisi la voie du médico-social ?

Je suis infirmière de formation et j’ai exercé pendant 18 ans à l’hôpital, notamment en réanimation. Mon premier contact avec l’action humanitaire a eu lieu lors d’une mission avec Médecins Sans Frontières. Cela m’a permis de comprendre que la santé est aussi un enjeu de territoire et de justice sociale. J’ai ensuite été bénévole pour Médecins du Monde et pour Osiris, une structure spécialisée dans la santé mentale des personnes réfugiées, migrantes et victimes de torture. Cette expérience m’a conduite à accepter un poste d’infirmière coordinatrice dans un accueil de jour, que j’ai occupé pendant 12 ans.

Grâce au diplôme du CAFERUIS, j’ai ensuite évolué vers un poste de cheffe de service en 2020. Mes engagements passés et mon expérience d’infirmière nourrissent encore aujourd’hui ma posture et ma réflexion quotidienne.

 

Pouvez-vous décrire votre métier ?

Mon rôle de cheffe de service consiste à mettre en œuvre le projet d’établissement, en garantissant la qualité des services proposés aux personnes accompagnées. J’accompagne également les équipes, environ 25 professionnels répartis en Ardèche à Tournon, Annonay et Aubenas, et je représente l’association auprès de nos partenaires. Je suis en veille constante sur les dynamiques de territoire, les besoins émergents, et les opportunités de projets. Nous collaborons étroitement avec les secteurs de l’urgence sociale (CHRS, accueil de jour), de la psychiatrie (CMP, équipes mobiles), les CSAPA, les CAARUD. Nous avons aussi un partenariat important avec l’Éducation nationale, notamment pour des actions de prévention collective et des entretiens individuels dans le cadre du Point Accueil Ecoute Jeunes (PAEJ).

 

Quelle place occupe la collaboration dans votre profession ?

En tant que cheffe de service, j‘ai un rôle de manager et de soutien aux équipes. Il est essentiel de sécuriser l’environnement de travail pour permettre aux professionnels de mener à bien leurs missions. J’incarne le projet d’établissement ainsi que les valeurs de l’association, en lien avec les équipes, les partenaires, et les personnes accompagnées. Je pratique un management horizontal, en impliquant les équipes dans les décisions qui les concernent, tout en m’appuyant sur un cadre structurant et porteur de sens Je suis participe aux réunions cliniques sur les trois sites du département (Annonay, Tournon et Aubenas). Je reste aussi en lien avec les usagers pour mieux comprendre leurs besoins et les dynamiques territoriales.

Je travaille également avec la direction nationale, le siège d’Addictions France situé à Paris, et des groupes nationaux afin de faire remonter les problématiques de terrain et contribuer à une réflexion nationale sur les enjeux des soins et de l’accompagnement en addictologie.

 

Pouvez-vous citer une action ou un dispositif mis en place avec votre contribution, et dont vous êtes particulièrement fière ?

Je suis particulièrement fière de la mise en place de l’accueil avec alcool dans les CAARUD en Ardèche. Cette approche s’inscrit dans une logique de réduction des risques liée à l’alcool, une thématique encore peu développée en France. Ce dispositif, intégré au projet d’établissement dès mon arrivée, permet d’accompagner individuellement les usagers dans leur consommation. Il a également permis de repenser les règlements intérieurs des structures d’hébergement. Cette expérimentation a été favorisée par le contexte du COVID et du confinement, qui ont nécessité des adaptations rapides et créatives.

 

Quelles compétences sont essentielles à votre métier ?

Il est essentiel de savoir se situer dans son rôle, incarner une fonction et les valeurs de l’association. Cela passe par une communication claire, une bonne connaissance de ses ressources, de ses compétences, mais aussi de ses limites. La réflexion constante, la remise en question de ses pratiques, la compréhension des enjeux du territoire et des partenariats sont cruciales. Notre métier a aussi une dimension politique et sociétale : il s’agit de défendre un plaidoyer, un positionnement, et de le traduire concrètement sur le terrain. Enfin, il est essentiel de savoir gérer son stress, hiérarchiser les priorités, faire preuve d’autonomie, et veiller à son propre équilibre pour pouvoir prendre soin des autres de manière durable.

 

Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontée ?

Le contexte politique actuel, marqué par la répression et la stigmatisation des consommateurs, rend notre travail plus complexe. Nous luttons au quotidien contre les discriminations et pour la défense des droits des personnes accompagnées. Un défi majeur est de continuer à donner du sens à nos métiers, à transmettre de l’énergie, de l’espoir et des perspectives aux équipes comme aux usagers. Un autre enjeu important est l’innovation : accompagner les mutations du secteur médico-social tout en restant fidèle à notre identité. Cela implique de donner la parole aux personnes accompagnées, de diversifier nos approches, et de proposer de nouveaux modèles d’accompagnement en addictologie.

 

Quels projets portez-vous actuellement dans le département ?

Nous développons plusieurs projets, notamment autour de la réduction des risques. Nous œuvrons également pour renforcer la participation des personnes accompagnées, à travers le bénévolat ou l’intégration de travailleurs pairs au sein des équipes. Au CSAPA, une réflexion est en cours pour repenser les modèles d’accompagnement, avec pour objectif de favoriser l’autonomie et l’implication active des usagers. Par exemple, nous menons des consultations pour co-construire l’animation interne, ou les associer à l’organisation d’événements à visée festive et inclusive.

Le CAARUD, implanté en zone rurale ou semi-rurale, fonctionne comme un véritable outil multifonction : il permet une grande diversité d’interventions, y compris l’accompagnement à l’injection à domicile ou dans des espaces de consommation encadrés.

Par ailleurs, nous travaillons sur les représentations sociales liées aux usages de produits, en interrogeant les enjeux identitaires et les injonctions sociales qui pèsent sur les individus — notamment autour des questions de genre, de relations toxiques, ou de rapports de domination.

L’objectif est de susciter une prise de conscience collective, de faire évoluer les pratiques et les regards, et d’ouvrir la voie à des approches plus justes, plus inclusives et plus humaines.