Paroles de pro
Mathieu Petitjean - Référent carcéral
Plongée au cœur de l’engagement et des défis dans la lutte contre les addictions.
Depuis 2018, Mathieu Petitjean intervient au centre pénitentiaire de Réau en tant que référent carcéral pour Addictions France. Son travail consiste à accompagner des personnes détenues confrontées à des conduites addictives, en mêlant soins, prévention et préparation à la sortie. Au quotidien, il tisse des liens avec les acteurs du soin et de la justice pour construire des parcours adaptés, malgré les nombreux défis liés au manque de moyens et à la complexité du milieu carcéral. À travers cet échange, il partage son expérience, les spécificités de son métier et les enjeux majeurs de la prise en charge des addictions en prison.
Comment avez-vous découvert l’association ?
Avant d’intégrer Addictions France, j’étais formateur en institut de travail social. Lors d’une formation, un ancien directeur m’a parlé d’Addictions France et du poste de référent carcéral. À ce moment-là, je travaillais déjà à mi-temps dans une association intervenant en milieu carcéral et j’étais donc déjà sensibilisé aux réalités de la détention et aux problématiques liées aux conduites addictives, très présentes dans ce contexte.
En quoi consiste votre mission en tant que référent carcéral au sein d’Addictions France ?
J’interviens principalement au centre pénitentiaire de Réau, 3 jours et demi par semaine, auprès de personnes condamnées à des peines allant de 3 ans à la perpétuité. Mon rôle est d’accompagner les personnes détenues ayant des conduites addictives, en travaillant sur leur parcours de soins, leur rapport aux consommations, et surtout sur la préparation à la sortie.
Cela passe par des entretiens individuels, des groupes thérapeutiques, et des actions de prévention. L’objectif est d’ouvrir un espace de réflexion, d’apporter des repères, des conseils en réduction des risques, et de favoriser une dynamique de changement.
J’interviens également auprès des personnes en permission, pour les aider à reprendre contact avec des structures extérieures (santé, social, logement), et je participe à diverses démarches administratives (CPAM, MDPH, SIAO…). J’assure également des permanences au CSAPA de Dammarie-les-Lys (Ile de France) pour assurer la continuité du suivi après la détention.
Quelles sont les spécificités de l’intervention en milieu fermé ? Pourquoi agir auprès de ce public ?
Travailler en détention, c’est accompagner des personnes souvent isolées et stigmatisées, qui ont des parcours de vie très complexes. La prison est un lieu où les consommations évoluent : certains arrêtent, d’autres modifient leurs pratiques, parfois avec des produits spécifiques au contexte carcéral. Les consommations sont très liées à la détention : gestion de l’angoisse, de l’enfermement, de l’ennui. À l’inverse, la détention peut être une conséquence directe des consommations : certaines personnes sont incarcérées pour du deal, d’autres pour des conduites en état d’ivresse, ou ayant entraîné des violences. Certaines ont volé pour régler des dettes de jeu. Les conséquences directes des consommations sont très visibles.
Une autre spécificité est que je suis seul sur le poste de référent carcéral, ce qui nécessite de tisser un réseau partenarial solide avec les acteurs du soin et de la justice afin de permettre l’élaboration d’un projet vers la sortie.
Comment les personnes détenues accueillent-elles les actions de prévention ou de réduction des risques ?
Le soin en addictologie n’est pas obligatoire, mais il est incité par la justice. Le fait que je dépende d’une association me permet d’être vu comme une personne neutre, ce qui participe à créer la confiance et favoriser l’adhésion. Je rappelle le cadre de confidentialité, le respect du secret professionnel qui est indispensable, et je présente Addictions France pour que les personnes que j’accompagne, comprennent bien que je ne fais pas partie du personnel pénitentiaire ou judiciaire.
Concrètement, quelles actions mettez-vous en place ?
Mon travail s’articule autour de plusieurs axes. D’abord, je mène des entretiens individuels au sein du centre pénitentiaire, qui peuvent aussi inclure des accompagnements en permission, afin de préparer la sortie et faciliter les démarches extérieures.
Je propose également des groupes thérapeutiques à destination des usagers suivis, comme des groupes de parole, des ateliers de théâtre centrés sur les compétences psychosociales, des cafés philosophiques, des ateliers photo ou encore des séances de relaxation. En parallèle, nous organisons des actions de prévention ouvertes à tous les détenus, comme des ciné-débats, des groupes autour du Mois sans Tabac, du Défi de janvier, du Sidaction, des forums santé, ou encore des ateliers de jeux sur la réduction des risques.
La réduction des risques est au cœur de nos échanges, en particulier lors des interventions menées avec une infirmière en addictologie. Nous abordons par exemple l’usage de la naloxone, un antidote aux overdoses, dont nous souhaitons faciliter l’accès en détention.
Quels sont les freins ou limites que vous rencontrez dans vos interventions ?
Le principal frein reste le manque de moyens humains et financiers. En étant seul pour intervenir sur un établissement de 750 détenus, il est difficile d’assurer une régularité optimale. Autre difficulté : le manque de structures d’hébergement spécialisées en addictologie pour les personnes sortantes. Cela rend les orientations complexes, voire impossibles, et peut conduire à des ruptures de soins.
Quels sont, selon vous, les enjeux prioritaires en matière d’addiction en prison aujourd’hui ?
L’après-détention constitue un enjeu central surtout en matière d’hébergement. Il manque aujourd’hui des structures thérapeutiques adaptées pour accueillir les personnes sortant de prison, alors même que cette période est critique, avec un risque élevé de re-consommation et d’overdose.
Un autre point essentiel est de renforcer encore la réduction des risques, non seulement auprès des personnes détenues, mais aussi en sensibilisant davantage les personnels pénitentiaires et judiciaires. Il ne s’agit pas de banaliser les consommations, mais d’encadrer, d’informer et de prévenir les dommages, dans une logique de santé publique.
Enfin, pour que ces accompagnements soient réellement efficaces, il est indispensable de renforcer les moyens humains, trop souvent insuffisants, et de développer des structures d’accueil en addictologie avec hébergement, notamment pour les fins de peine, qu’elles soient aménagées ou non.
Y a-t-il une rencontre ou une situation marquante que vous pouvez partager ?
Chaque rencontre est unique et riche d’enseignements. Certaines m’ont particulièrement marqué, comme celles d’un homme transféré de Nouvelle-Calédonie ou d’une femme arrêtée à son arrivée du Brésil. Ces accompagnements m’ont conduit à repenser mes pratiques face à des cultures et des rapports à la consommation très différents.
Je pense aussi à une personne qui a réussi à organiser son mariage en détention : un projet de vie qui montre que la détention n’éteint pas les élans d’espoir et la projection.
Enfin, certaines prises en charge très soutenues se terminent brutalement par une expulsion ou un transfert en Centre de Rétention Administrative, illustrant la violence administrative parfois subie par des personnes engagées dans un parcours de soin et d’insertion. Ces situations questionnent notre capacité collective à offrir un accompagnement cohérent et humain, même dans des contextes complexes.
Quelles évolutions souhaitez-vous pour améliorer l’accompagnement des personnes détenues concernées par des conduites addictives ?
Il est essentiel de renforcer les moyens humains pour renforcer la qualité et la régularité du suivi. Je souhaiterais aussi le développement de structures d’hébergement en addictologie, permettant aux personnes de finir leur peine dans un cadre de soin adapté, en lien avec la justice. Enfin, dans certaines prisons, la surpopulation rend très difficile tout travail de fond. Offrir des conditions de détention plus dignes faciliterait les démarches de réinsertion.
Que diriez-vous à une personne qui souhaiterait faire ce métier ?
C’est un métier profondément humain et porteur de sens, où l’éthique et le sens de la justice sont constamment sollicités. Il faut aimer travailler de manière autonome et savoir s’adapter à des contextes parfois complexes. Accompagner ce public, c’est défendre l’idée que chacun mérite un soutien et une seconde chance.
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