La campagne « électrochoc » du gouvernement : un discours ni novateur ni efficace face aux drogues
Jeudi 6 février, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a dévoilé une nouvelle campagne de lutte contre le narcotrafic. L’objectif du gouvernement est clair : culpabiliser le consommateur. Cette approche s’inscrit dans une politique répressive en place depuis 50 ans. Si Addictions France soutient la lutte contre le narcotrafic, elle est plus interrogative vis-à-vis de cette campagne. L’association promeut une position pragmatique face aux drogues, à l’heure ou la répression a montré ses limites.
Des campagnes chocs pas forcément efficaces
Avec ce spot de 30 secondes, le ministre de l’Intérieur a choisi une stratégie de « culpabilisation » et non de « sensibilisation » des consommateurs de drogues illégales. Il établit un lien direct entre les consommations individuelles de différentes drogues illégales et la violence propre des dynamiques du trafic : destruction de biens publics, la perte de vies d’enfants et la violence directe. L’objectif, selon Bruno Retailleau, est de « rompre avec une logique victimaire » et « créer un électrochoc ».
Si ce type de campagne a pu faire ses preuves dans la prise de conscience des dangers du tabac ou pour la sécurité routière, l’efficacité d’une campagne choc sur la consommation de drogues est plus incertaine : l’effroi qu’elle génère peut entrainer une mise à distance du public, voire du déni ou encore de la dérision. Par ailleurs, ces campagnes ne fonctionnent que si elles s’accompagnent de solutions concrètes.
Drogue et insécurité : une réalité plus complexe qu’il n’y paraît
Tout au long de la vidéo, la consommation des différentes substances est amalgamée sous un terme : « LA drogue ». Bien qu’il y ait une augmentation évidente de la consommation de cocaïne, la drogue la plus consommée reste le cannabis (50,4% des adultes ont expérimenté le cannabis // 9,4% la cocaïne, chiffre-clé OFDT 2025). La politique prohibitionniste autour du cannabis alimente elle-même l’insécurité, les consommateurs ne disposant pas d’un accès à un produit légal et contrôlé, comme c’est le cas au Québec. D’autres modèles ont fait leur preuve à l’international. Le Portugal, par exemple, a réussi à diminuer les consommations en ouvrant la voie à la dépénalisation des drogues et en développant parallèlement la prévention et l’accompagnement des usagers.
L’échec assuré de la prévention culpabilisante
En désignant les consommateurs comme « les premiers responsables du trafic de stupéfiants », cette campagne, ainsi que le discours de Bruno Retailleau, entraîne une dispersion des moyens budgétaires et humains alloués à la lutte contre le narcotrafic, et se révèle contreproductive. Si l’objectif est de faire changer les comportements des consommateurs, les stigmatiser n’est sûrement pas la meilleure approche. La culpabilisation mine la confiance dans les institutions, engendre de l’isolement et rend encore plus difficile l’accès aux soins pour ceux qui en ont besoin.
Une approche plus rationnelle que les effets de manche, qui ont souvent servi à masquer l’échec de la puissance publique, sur un sujet complexe nécessiterait de s’intéresser à la chaîne d’approvisionnement, à la pression mise sur les dockers et au blanchiment d’argent.
« La stigmatisation du consommateur dans le discours politique occulte un peu trop rapidement l’échec patent face à la montée progressive d’un narcotrafic particulièrement violent et organisé ».
– Bernard Basset, président d’Addictions France.
Finalement, loin de marquer une rupture, cette vidéo s’inscrit dans la continuité d’un choix politique qui s’est avéré inefficace pour faire face à l’augmentation de consommations de drogues en France. Addictions France rappelle que déjà en 2017, le candidat Emmanuel Macron défendait l’amende forfaitaire comme la solution pour lutter contre le trafic de stupéfiants. Or, la situation actuelle prouve à nouveau que ce n’est pas la répression des consommateurs qui permettra de mener une lutte efficace contre les réseaux criminels et le narcotrafic.
La discussion d’une proposition de loi sur le narcotrafic est l’opportunité de laisser derrière nous les approches peu effectives et progresser vers un cadre légal holistique qui concentre tous les efforts sur la lutte contre la vraie criminalité et favorise le développement de politiques de santé publiques ambitieuses en matière d’addictions.
À propos d’Association Addictions France : Fondée en 1872 par Louis Pasteur et Claude Bernard, Association Addictions France est reconnue d’utilité publique et agréée d’éducation populaire. L’association intervient au plus près des populations sur toutes les addictions. Elle est également force de proposition pour faire évoluer les opinions et la législation.
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