Le chemsex est un terme issu de l’anglais, il s’agit de la contraction du mot “chemicals” (produits chimiques) et du mot “sex”, désignant ainsi la consommation de substances psychoactives dans le cadre de relations sexuelles afin de les faciliter, les prolonger ou les améliorer en raison des effets psychoactifs de ces substances. Cette pratique est observée depuis le milieu des années 2000 en Angleterre et a connu un réel essor en France et en Europe depuis 2010 avec l’arrivée de nouveaux produits de synthèse (NPS).

Il existe actuellement peu de données pour quantifier l’ampleur du phénomène. En ce sens, l’action et les remontées des professionnels de santé et des acteurs associatifs sont essentielles afin d’évaluer l’évolution du phénomène, ses risques ainsi que les réponses à y apporter.

“Le chemsex est une course poursuite sans fin vers un désir ne pouvant être assouvi.”

– Dr. Maé Ilieff – Psychiatre addictologue

 

Comment appréhender le phénomène et ses spécificités socio-culturelles ?

Il est nécessaire d’analyser le phénomène en prenant en compte les spécificités sociales, culturelles et communautaires des personnes pratiquant le chemsex afin de comprendre au mieux les spécificités de cette pratique. Les études sur le sujet observent que le phénomène s’intègre plutôt dans les pratiques d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH)*1. Cependant, il semblerait que la pratique se développe aussi dans le cadre de relations hétérosexuelles avec un effet lié à la pandémie et aux confinements associés, comme en témoigne un article de NeonMag.

La problématique de la sexualité et de la sociologie de la rencontre sexuelle est centrale dans la façon d’appréhender le chemsex. On a pu observer une mutation de ces modalités de rencontre, essentiellement liée à l’avènement des applications de rencontre (Grindr, Hornet, Tinder, etc.), notamment dans la communauté gay. Ces applications promouvant l’immédiateté ont entraîné une mutation dans la façon d’appréhender les relations et dans une certaine mesure engendrent une forme de disparition de la communication non axée autour de la sexualité.

“Une partie des usagers expliquent en effet adhérer à la « culture » du Chemsex en réponse à la disparition progressive de la communication non sexuelle à l’heure des applications, la consommation de substances occupant également une fonction de désinhibition sociale.”

– Rapport “Chemsex” 2022, coordonné par le Pr. Amine Benyamina *2

Afin de comprendre un peu plus le phénomène, nous avons posé quelques questions au Dr. Maé Ilieff, psychiatre addictologue et médecin coordinatrice à Addictions France au sein du CSAPA Paris XIX°.

 

Dr. Maé Ilieff - Psychiatre addictologue 
et médecin coordinateur

 

Comment analysez-vous la place des applications de rencontre (Grindr, Hornet, etc.) dans le phénomène chemsex ?

Il me semble que la place des applications de rencontre est centrale dans l’analyse du phénomène et dans les solutions à y apporter. Il y a une sorte de triptyque avec d’un côté les produits psychoactifs, de l’autre la sexualité et enfin les applications. Il est compliqué de sortir du chemsex sans sortir au moins partiellement des applications, car celles-ci exposent à des stimuli très forts pouvant provoquer du craving (manque). Le simple fait de voir qu’un partenaire avec lequel on a pratiqué le chemsex est connecté peut créer une envie très forte, presque incontrôlable et donc à la fin mener à une rechute.

Parallèlement les applications sont un vecteur de socialisation important en dehors même du contexte sexuel, s’en séparer c’est se séparer d’un moyen de rencontrer d’autres hommes et c’est en ce sens souvent compliqué. C’est pourquoi il est très important qu’il existe des espaces de socialisation LGBTQ+ et il est également important d’orienter les usagers vers ces espaces afin que ceux-ci aient accès à une socialisation et à une sexualité en dehors des applications.

Ainsi la prise en compte du contexte social du chemsexeur est d’autant plus nécessaire à sa prise en charge, car ce contexte est souvent empli de stigmatisations liées à son orientation sexuelle ou à son identité de genre. Il s’agit alors pour l’équipe prenant en charge un usager chemsexeur d’aller vers lui afin de comprendre son parcours et les difficultés auxquelles il fait face dans une société hétéronormée et souvent source de discrimination.

 

Selon vous, quels éléments devraient connaître un professionnel de l’addictologie afin de prendre en charge un usager chemsexeur ?

En tant que professionnel de l’addictologie prenant en charge des usagers chemsexeurs, il est important d’être à l’aise avec le fait de parler des pratiques sexuelles, y compris celles que l’on catégoriserait comme plus “extrêmes”. Il est également important de maîtriser le vocabulaire lié à ces pratiques (par exemple le fist). Il s’agit d’avoir une forme de culture de la sexualité HSH car certaines pratiques spécifiques engendrent certaines prises de risque, ce parallèlement au fait que certaines drogues limitent la perception du risque chez l’usager. Ces connaissances à la fois des pratiques sexuelles et des produits consommés dans le cadre du chemsex (GHB, cathinones, etc.) permettent aux usagers de se sentir libres d’évoquer leurs pratiques tout en facilitant leur prise en charge.

Sur un autre aspect, il me semble essentiel de se rappeler en permanence que les usagers que l’on rencontre sont dans la grande majorité victimes de différentes discriminations, d’homophobie et de formes de rejet. Il est donc capital de prendre en compte le contexte socio-culturel dans lequel évoluent les chemsexeurs afin de comprendre leurs différentes situations et ce qui constitue le terreau de leur addiction. Pour comprendre un peu plus le phénomène et les enjeux sous-jacents je recommande d’écouter des podcasts comme celui intitulé Chemsex : À l’ami qui mérite un amour disponible sur France Inter ou bien de lire le guide pour améliorer la prise en charge des personnes LGBTQI+ du CRIPS.

Par ailleurs il me semble important d’envoyer des signaux aux personnes accompagnées dans nos centres afin de leur montrer que les professionnels qu’ils rencontrent sont formés à ces questions et sont prêts à les évoquer avec bienveillance et sans jugement. Pour cela des campagnes d’affichage peuvent être mises en place dans les établissements comme celles du CRIPS et du CAELIF visant à lutter contre les discriminations auxquelles sont soumises les personnes LGBTQI+ ou bien encore celle sur le consentement et les violences sexistes et sexuelles de l’Université de Bordeaux.

 

Les Nouveaux Produits de Synthèse et leurs modes de consommation (NPS)  

En France, la pratique du chemsex s’est développée dans les années 2010, notamment au travers de l’usage de nouveaux produits de synthèse (NPS). Cette appellation désigne un large ensemble assez hétérogène de molécules créées synthétiquement et venant imiter certaines substances illicites (MDMA/ecstasy, cocaïne, cannabis, etc.). A titre d’indication, on dénombre en Europe plus de 897 nouveaux produits de synthèse identifiés depuis 1997 *3

Parmi ces produits utilisés en contexte de chemsex on compte notamment le GHB/GBL et les différentes cathinones de synthèse (4-MMC, 3-MMC, 3-CMC, MDPV, etc.), ainsi que la cocaïne. L’usage d’autres NPS dans le cadre de chemsex ont été répertorié mais leur usage reste plutôt marginal en France. Les cathinones de synthèse sont consommées pour leurs effets stimulants : euphorie, bien-être, augmentation de l’endurance et de l‘appétence sexuelle, effet entactogène, etc. Ces différentes substances psychoactives sont consommées de différentes façons présentant différents risques. Elles peuvent être consommées par voie orale (‘bombing” ou “parachute”) en étant généralement diluées dans un liquide, par voie intranasale (sniff), intra-rectale (“plug”) ou intraveineuse (“slam”). Ces différents modes de consommation peuvent entraîner différents risques spécifiques, souvent exacerbés dans le cadre du chemsex.

 

Les risques, dommages et pathologies engendrées

La pratique du chemsex est une pratique à risques multifactoriels. Tout d’abord il existe des risques évidents liés à la consommation de substances psychoactives, des risques d’addictions notamment. En effet ces consommations – comme toute consommation – entraînent un risque addictif qui peut être compris à partir du triangle d’Olievenstein. Celui-ci permet de prendre en compte plusieurs éléments dans la compréhension d’une consommation de substances psychoactives, tout d’abord le facteur lié à l’individu, ensuite le produit et enfin le contexte qu’il soit social ou qu’il s’agisse du contexte de la consommation.

 

Les substances consommées dans le cadre du chemsex (GHB/GBL, cathinones de synthèse, cocaïne) sont connues pour avoir un fort à très fort potentiel addictif *4. Entre autres effets, elles ont également pour conséquence d’entraîner une diminution de la perception et de l’évaluation des risques encourus dans la consommation même de la substance ou dans les pratiques suivants celle-ci (ici les rapports sexuels).  

En ce sens, le chemsex peut pousser les personnes le pratiquant à ne pas se protéger durant les rapports sexuels ou à prendre des risques durant la prise des substances psychoactives (partage du matériel d’injection, des pailles, etc.). Il est également à noter que les “sessions” de chemsex peuvent durer plusieurs heures voire plusieurs jours, entraînant à terme des situations de craving (manque) important et de grande fatigue physique et psychologique chez certains pratiquants.  

 

De l’utilité de la RdRD 

“La Réduction des risques et des dommages liés à la pratique du chemsex a pour spécificité d’être hybride, alliant RdRD liée aux drogues et RdRD liée aux pratiques sexuelles.”  

– Dr. Maé Ilieff – Psychiatre addictologue chez Addictions France 

Dans la prise en charge d’un usager pratiquant le chemsex, il convient d’avoir une approche plurielle. S’agissant de la réduction des risques et des dommages (RdRD) liée aux pratiques sexuelles, cela peut notamment passer par des dépistages fréquents, par la distribution de préservatifs et par des consultations PrEP (La PrEP s’adresse aux personnes qui n’ont pas le VIH, et consiste à prendre un médicament afin d’éviter de se contaminer). Dans la RdRD liée aux drogues, il faut également passer par la distribution de matériel de prévention comme des “roule ta paille”, des kits d’injection stériles ou la distribution de pipettes de dosage, notamment pour le dosage du GHB.  

La RdRD passe aussi par le fait d’informer les usagers quant aux différents effets secondaires liés aux substances psychoactives qu’ils consomment. Ainsi le Dr. Ilief souligne qu’il existe un risque d’épisode délirant et psychotique chez les chemsexeurs notamment consommateurs de méthamphétamine en cristaux mais également chez ceux consommateurs de cathinones de synthèse. De la même manière, après l’arrêt de la consommation advient généralement un état dépressif appelé “redescente” durant quelques jours, celui-ci est lié à l’épuisement des stocks de sérotonine, de dopamine et de noradrénaline du consommateur. 

En conclusion, l’essor du chemsex et ses particularités appellent à la plus grande vigilance de la part des professionnels de l’addictologie mais également à un effort de compréhension des spécificités socio-culturelles qui le constituent et sont propres aux communautés touchées.

________________________________________

  1. Hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (HSH) : personnes ayant des pratiques homosexuelles, indifféremment du fait qu’elles se reconnaissent ou non homosexuelles (d’un point de vue identitaire).

  2. https://www.vie-publique.fr/rapport/284486-rapport-chemsex-rapport-du-professeur-amine-benyamina

  3. https://www.ofdt.fr/produits-et-addictions/de-z/nouveaux-produits-de-synthese/#:~:text=L’abr%C3%A9viation%20NPS%20est%20g%C3%A9n%C3%A9ralement,%2C%20cannabis%2C%20etc.)

  4. https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/284486.pdf Page 12 à 20