Adoptée le 10 janvier 1991, la loi Evin encadre la vente et la promotion de l’alcool et du tabac. Elle interdit toute forme de publicité pour le tabac et limite très fortement la publicité pour l’alcool afin de protéger les publics jeunes. Aujourd’hui, l’application de cette loi est mise à mal par l’explosion de la promotion de l’alcool sur les réseaux sociaux. 

Jusqu’en 2009, la publicité pour l’alcool n’était pas autorisée sur internet, la loi Evin n’ayant pas prévu ce media parmi les supports autorisés. Depuis, avec la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires), la publicité est autorisée sur Internet sauf sur les sites destinés à la jeunesse ou dédiés au sport et à l’activité physique et à condition que la publicité ne soit pas « intrusive ni interstitielle », c’est à dire qu’elle vienne pas gêner la lecture d’un article ou le visionnage d’une vidéo.

À l’ère des réseaux sociaux et du marketing d’influence, l’application de ces restrictions est fortement mise à mal. Or, les jeunes, plus vulnérables à la consommation d’alcool, sont massivement exposés à des contenus favorisant l’alcool sur les réseaux. 

Selon les enquêtes de l’EHESP et de l’OFDT :

  • 79% des 15-21 ans déclarent voir des publicités pour de l’alcool toutes les semaines sur les réseaux sociaux.
  • 23% avouent que ces publicités leur ont donné envie de boire.  

Les réseaux sociaux n’échappent pas à la loi

La loi Evin s’applique aussi sur les réseaux sociaux et concerne toute personne publiant un contenu qui met en avant une marque d’alcool ou une boisson alcoolique.

Depuis l’autorisation de la publicité pour l’alcool sur Internet, les marques d’alcool ont eu recours à des publicités illégales, notamment par le biais des influenceurs qui souvent ne connaissent pas la loi et les risques juridiques. À ce sujet, une décision de la Cour de cassation souligne très clairement : la condamnation d’une publicité ne dépend pas d’un lien avéré avec le producteur d’alcool, mais bien de la valorisation du produit, peu importe qui est la personne qui en fait la propagande.

Le code de la consommation et la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) déterminent les pratiques commerciales interdites sur internet et les réseaux sociaux. Quand une publicité dissimule son intention commerciale, elle peut être qualifiée de pratique commerciale trompeuse. La publication doit donc être clairement identifiable comme une publicité par la mention « Publicité » ou « Sponsorisé » par exemple.

La responsabilité des influenceurs

Lorsqu’elle intente des actions en justice, Addictions France cible principalement les marques d’alcool qui contournent régulièrement les règles en matière de publicité pour de l’alcool. Aujourd’hui, les marques ont de plus en plus recours à des influenceurs pour promouvoir leurs produits auprès des plus jeunes. Mais, les influenceurs restent responsables des contenus qu’ils publient. Certains créateurs de contenus, comme McFly et Carlito ont cessé de faire la promotion de l’alcool après que l’association leur a rappelé le cadre de la loi.

Cependant, en profitant d’un cadre législatif permissif et flou, 42 % des 442 influenceurs contactés par Addictions France persistent à promouvoir de l’alcool, y compris 92 détenteurs du certificat d’« influence responsable » délivré par l’ARPP.

Encadrer les pratiques publicitaires des alcooliers sur internet ne peut se faire qu’avec le concours de ceux qui se font le relais des marques : les influenceurs et les hébergeurs de contenus. (Facebook, Instagram, Tik-Tok, Snapchat) doivent tous appliquer les règles. L’association appelle donc les influenceurs à ne pas publier de contenus illégaux et les plateformes à favoriser leur suppression suite à des signalements.

Des décisions judiciaires marquantes 

Ces dernières années, plusieurs jugements ont donné raison à Addictions France en condamnant des marques, une plateforme et des influenceurs : Heineken, Pierre Croce, AnaRVR… Ces décisions rappellent que la loi s’applique aussi sur les réseaux sociaux, qu’il s’agisse des marques qui commercialisent les produits, des plateformes hébergeant des contenus valorisant l’alcool ou des influenceurs promouvant les boissons alcooliques.

La plateforme Meta condamnée à retirer des contenus illicites publiés par des influenceurs

Le 5 janvier 2023, le Tribunal judiciaire de Paris a condamnépar une décision confirmée en appel,  Meta (maison mère de Facebook et Instagram) à retirer 37 publications sur Instagram. Ces publications, postées par 19 influenceurs différents, étaient contraires à la loi Evin en ce qu’elles faisaient la promotion des boissons alcoolisées. Addictions France a de nouveau obtenu gain de cause face à Meta, mardi 19 août. La société a été contrainte de retirer 26 contenus illicites faisant la promotion de l’alcool sur les réseaux sociaux de ses plateformes en France.

L'influenceuse AnaRVR condamnée pour avoir fait la promotion d'une marque de vin

Le 17 mars 2023, le tribunal judiciaire de Paris a condamné pour la première fois un influenceur, Pierre Croce (3,9 millions d’abonnés), pour publicité illicite de boissons alcooliques. Il a été condamné à une amende de 10 000 euros avec sursis et 10 000 euros de dommages et intérêts pour avoir publié une vidéo fin 2021 de « défi et dégustation » d’alcools de nombreuses marques. Le 4 mars 2024, l’influenceuse AnnaRVR a également été condamnée par le Tribunal correctionnel de Paris à une amende de 3 000 € en raison de plusieurs publications manifestement illicites promouvant l’alcool, postées entre juin 2021 et juillet 2023. Les publications, mêlant glamour, hédonisme, évasion, ou encore des packagings et dénominations se référant au lexique de la sensualité, ont été jugées contraires à la loi Evin.

Heineken condamnée pour l'organisation d'un pop-up store dédié à la gamme Heineken Silver

Le 10 décembre 2025, le tribunal correctionnel de Paris a condamné Heineken et Universal Music pour publicité illégale en faveur de la bière “Heineken Silver”, à l’occasion d’un pop-up store organisé à Paris au printemps 2022.
Cette opération, qui avait été relayée par plusieurs influenceurs, a été jugée comme un contournement des restrictions légales sur la publicité de l’alcool. Le tribunal a prononcé des amendes significatives à l’encontre des entreprises condamnées. Les influenceurs poursuivis ont, eux, été condamnés à verser un euro symbolique, rappelant leur responsabilité quant aux contenus qu’ils publient sur les réseaux sociaux.

Interdire la publicité sur les réseaux sociaux comme à la TV et au cinéma

Depuis 2021, Addictions France observe les contenus valorisant l’alcool sur les réseaux sociaux (« posts » et « stories ») et dresse un constat alarmant :

  • la promotion de l’alcool est omniprésente,
  • les possibilités de contrôle sont très limitées
  • et les garde-fous insuffisants.

Au total, l’association a identifié plus de 800 marques d’alcool et suivi près de 483 influenceurs.

Les réseaux sociaux constituent donc une zone de non droit, un « Far West » où les jeunes – les consommateurs de demain – sont massivement exposés à des contenus valorisant l’alcool. Ce que la loi Evin cherchait justement à éviter. 

Pour l’association, il est essentiel d’interdire la promotion de l’alcool sur les réseaux sociaux, afin d’aligner ces règles avec celles déjà en vigueur pour la télévision et le cinéma. Cette mesure apparait aujourd’hui comme la seule permettant d’éviter l’incitation à la consommation auprès de populations particulièrement vulnérables.